ANALYSES

Paris-Pékin : ce que les dirigeants et chefs d’entreprise français inspirent aux Chinois

Presse
5 décembre 2013
Ce jeudi 5 décembre, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault se rend en Chine avec une importante délégation composée de 5 ministres et du patron d’EDF, Henri Proglio. Peu de temps après la visite assez difficile de Pierre Moscovici (voir ici), qui a provoqué quelques remous à propos de l’enquête anti-dumping sur le vin européen, quel est l’état des relations entre la Chine et la France de François Hollande ?

Avant son élection, François Hollande était un quasi-inconnu pour les dirigeants de Pékin. Laurent Fabius, envoyé comme émissaire du candidat Hollande en février 2012, n’avait d’ailleurs été reçu par personne. Tout au plus, une déclaration selon laquelle le futur président désignait la Chine comme un adversaire financier aurait pu inquiéter les dirigeants chinois. Ils se méfiaient aussi des défenseurs inconditionnels des Droits de l’Homme qu’ils voyaient arriver au gouvernement et se souvenaient que c’était un membre éminent du Parti socialiste qui avait fait du Dalaï-Lama un citoyen d’honneur de la ville de Paris. La propension naturelle du président à la négociation et à l’esquive des conflits les a rassurés, tout comme les a rassurés le fait qu’il ait très rapidement reçu l’Ambassadeur chinois à Paris après son élection.


La visite de François Hollande en Chine, en avril 2013, a permis d’évoquer quelques-uns des problèmes de ses hôtes : sécurité des touristes chinois en France, problèmes de visas. Mais elle a surtout été à visée économique, notre déficit avec la Chine dépassant les deux milliards d’euros par mois. Le président cherchait à attirer les investisseurs chinois et à les assurer de notre compétitivité, tout en les rassurant sur la solidité économique de son pays. Et les Chinois ont apprécié qu’il s’en tienne au strict minimum sur les Droits de l’Homme.


Les problèmes n’ont pas été réglés pour autant. La Chine a peu apprécié que la première visite d’Etat de François Hollande en Asie ait eu lieu en Inde et que son voyage au Japon, un mois et demi plus tard, ait duré un jour de plus. Le déséquilibre de la balance commerciale continue de s’accroître. Et différents problèmes se sont greffés, sur les panneaux photovoltaïques, sur le vin, sur les accusations de corruption visant Danone. Les problèmes de sécurité des touristes chinois en France demeurent aussi.


Qu’en était-il sous les gouvernements précédents ? Les relations ont-elles vraiment évolué, ou sont-elles restées stables ?



Sous les gouvernements précédents, la qualité des relations franco-chinoises a toujours été marquée par des fluctuations importantes. Il y a même eu des périodes particulièrement difficiles, après les événements de Tian’anmen, les ventes de frégates et de Mirage à Taïwan ou l’inconsistance de l’attitude de Nicolas Sarkozy vis-à-vis de Pékin. J’avais écrit à cette époque que la Chine considérait la France comme "le maillon faible" de l’Europe et qu’elle usait et abusait de ce fait pour enfoncer un coin entre les pays de l’UE dont elle craignait qu’ils ne s’unissent pour l’obliger à respecter certaines règles. Cette instabilité des relations semble se manifester encore. Le discours de Pierre Moscovici semble avoir été assez ferme. Mais, alors qu’il pensait pouvoir annoncer à son retour qu’il n’y avait plus de problèmes avec la France, il est revenu les mains vides. Il semble que la visite de Jean-Marc Ayrault soit plutôt annoncée comme devant se placer sous le signe de la congratulation mutuelle.


Lors des Jeux Olympiques de Pékin, il y a tout juste cinq ans, la France s’était trouvée au cœur de la polémique tibétaine. Cette affaire a-t-elle encore un impact sur la vision que la Chine a de la France ? Existe-t-il une forme de méfiance politique entre nos deux pays ?



Il y a peu de méfiance politique de la France envers la Chine. Il existe même, chez beaucoup de politiques, y compris chez certains qui se sont largement impliqués, une sinophilie qui confine à l’ingénuité. Depuis des décennies, les politiques français, et les patrons de beaucoup de grandes entreprises se persuadent de ce que la France devrait être choisie comme fournisseur au nom de soit disant "relations privilégiées". Alors que leurs interlocuteurs chinois ne cessent de leur répéter que ce qui compte, c’est le rapport qualité-prix et que la France est trop chère. C’est d’autant plus étonnant qu’une partie de plus en plus importante de l’opinion publique tend à en avoir une image défavorable.


De son côté, la Chine ne se méfie pas de la France en tant que puissance qui pourrait s’opposer à la sienne. Ce qu’elle craint surtout, parce qu’elle ne les comprend pas, ce sont les revirements et les contradictions. Elle les considère comme des signes de faiblesse et de manque de fiabilité. Par contre, elle se méfie de certaines initiatives qui pourraient nuire à son image ou à sa politique. La position initiale de la France sur la Syrie, par exemple, a été très peu appréciée par la Chine qui a craint qu’elle puisse faire école.


De nombreux observateurs jugent que la Chine et l’Union européenne sont engagées dans une guerre commerciale presque ouverte. La France peut-elle tirer son épingle du jeu de cette situation ou est-elle au contraire handicapée par son appartenance à l’UE ?



Il est évident que les relations commerciales de la Chine et de l’Union européenne sont actuellement plutôt mauvaises. Les accusations de dumping, de concurrence déloyale, de manipulation du yuan, de non-respect de la propriété intellectuelle et industrielle demeurent. De nombreux Européens pensent aussi, ce qui est exagéré, que la Chine utilise ses excédents pour acheter des pans entiers de l’économie. La gouvernance actuelle de la France, marquée par le refus du conflit ouvert et les changements d’orientation face aux difficultés, pourrait paraître un atout pour la France. Mais on constate, comme on l’a vu lors de l’affaire des panneaux photovoltaïques, que les sanctions chinoises ne frappent pas de manière égale tous les pays européens, et que, une fois de plus, la France a été parmi les plus "punis".


En fait, la Chine alterne avec beaucoup de pragmatisme la carotte et le bâton et met en concurrence les Européens entre eux, ce qui présente le double avantage de faire baisser les prix et d’éviter toute action concertée contre elle.


 


Agro-alimentaire, nucléaire civil, éducation : parmi les nombreux dossiers qui seront évoqués au cours de cette visite, quels sont ceux qui ont une chance d’aboutir ? Peut-on espérer "l’année franco-chinoise" voulue par Matignon ?



La principale cause de déséquilibre des échanges franco-chinois ne réside pas dans la réussite ou l’échec de grands contrats, qui semblent souvent être le seul but des gouvernants français. Le problème est dans la structure de nos exportations en direction de la Chine. Elles ne font pas assez la part des PME, alors que la réussite de l’Allemagne est largement basée sur celles-ci. Le fait est bien connu, et depuis au moins vingt ans il est régulièrement pris en compte dans les discours. Cela avait été le cas lors de la visite de François Hollande en avril dernier, et le sera de nouveau lors de la visite du Premier ministre. Il resterait à concrétiser dans les faits cet appui annoncé aux moyennes entreprises.


Globalement, quelques annonces devraient avoir lieu à l’issue de la visite. Il faudra du temps pour voir quelles seront les réalisations. L’un des risques des grands contrats, outre le fait qu’ils sont souvent négociés dans des conditions peu avantageuses, est qu’ils sont assortis de transferts de technologie imposés par les Chinois, qui, de clients, espèrent bien devenir concurrents.


Les années de la France en Chine et de la Chine en France se succèdent, sans grand résultats. Les déséquilibres sont tels qu’on ne peut pas espérer que 2014 soit "l’année franco-chinoise", mais, si elle devait marquer une inversion de la courbe du déséquilibre commercial, ce serait déjà une réussite.

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