ANALYSES

« La stabilisation de la Centrafrique est un cas plus difficile que le Mali »

Presse
9 décembre 2013

L’Afrique doit "assurer elle-même sa sécurité"pour "maîtriser son destin". François Hollande n’a pas l’intention d’implanter les troupes françaises à long terme enCentrafrique, il l’a réaffirmé. Mais la réalité est plus complexe et assurer la paix à long terme prendra plusieurs années. Serge Michaïlof, chercheur associé à l’Institut des relations internationales et stratégiques, est spécialisé dans les questions d’aide au développement et des pays dits "fragiles". Selon lui, en l’état actuel, le processus de sortie de crise à long terme pourrait bien ne jamais fonctionner.


La France s’engage en Centrafrique alors même que la reconstruction du Mali s’opère doucement. La France pourra-t-elle s’y prendre de la même manière dans les deux pays?



La Centrafrique est un cas plus difficile que leMali. Le pays est problématique depuis très longtemps, il a toujours été maudit, sous-peuplé, inexploitable économiquement et donc inintéressant pour les dirigeants internationaux. Résultat, une succession de chefs d’Etat ineptes y ont pris le pouvoir, aussi bien par coup d’Etat que démocratiquement. Les dirigeants centrafricains sont des champions du genre, avec le bien connu Jean-Bedel Bokassa, mais aussi Ange-Félix Patassé, … L’exercice du pouvoir implique de complexes négociations entre ethnies et des minorités sont en permanence exclues du pouvoir et des perspectives d’évolution économique. A cela s’ajoutent une population trop peu nombreuse pour financer le minimum d’infrastructures ou une administration efficace ainsi que la présence de brigands.


Comment peut-on faire, dans ce contexte de désorganisation la plus totale, pour reconstruire la Centrafrique à long terme?



La stabilisation d’un pays de ce genre revêt trois aspects: le premier militaro-sécuritaire, le second politique et le dernier a trait au développement.


Nous sommes au premier stade. On peut envoyer 1000 hommes pendant six mois, voire un an, pour remettre de l’ordre dans le pays. Mais on ne pourra pas garantir la sécurité sans appareil d’Etat, sans une armée et une police locale ou une administration territoriale.


Au Mali, cette reconstruction d’un appareil d’état a pu se faire grâce à des élections post-conflit gagnées de manière indiscutable par un candidat, Ibrahim Boubakar Keïta. En Centrafrique, on assiste à un problème politique de fond, et même si l’Onu organisait des élections, il n’est pas évident que des dirigeants éclairés sorte du processus démocratique plutôt que des chefs de tribus ethnico-mafieuses. En outre la stabilité politique exige le respect du droits des minorités qui n’est pas habituelle dans ce pays.


Loin de tout et terriblement enclavée, la Centrafrique fait face à de lourdes contraintes au plan du développement économique. Les exportations sont soumises au bon vouloir des coupeurs de routes et aussi des états voisins. Depuis plus de 25 ans, les routes ne sont plus entretenues. Il manque toutes les infrastructures de base pour permettre une relance économique rapide. L’économie s’est effondrée car la sécurité n’était pas assurée. Les agriculteurs sont revenus à une stricte agriculture de subsistance car les routes ne sont pas sûres. Il suffirait dans un premier temps d’assurer la sécurité, de remettre en état le réseau routier et d’améliorer la distribution d’léectricité dans les villes pour voir la croissance partir à 8-9%.


Est-ce réellement aussi simple?



C’est simple sur la papier. Mais le vrai problème est le problème politique. D’où va-t-on sortir une élite politique capable de construire une nation? Tout le centre et le sud du pays sont chrétiens et animistes, divisés en 60 à 70 groupes d’origine bantoue. Mais le nord appartient à des groupes apparentés au Soudan et au Tchad qui ne parlent pas la langue nationale. Agréger ces deux types de population est donc un vrai défi. Il faudrait trouver un Mandela, ou même un homme moins ambitieux, une personnalité avec du charisme pour rassembler tout le monde et construire un appareil d’Etat moderne.


La France est-elle capable d’aider la Centrafrique sur le long terme?



La France est en pointe au plan militaire, mais elle sous-traite tous les aspects de développement économique à l’Union européenne, à la Banque mondiale et à la Banque africaine. Je le sais pour avoir été un des directeurs opération de la Banque mondiale. Ces grandes institutions, par ailleurs remarquables, ont du mal à travailler dans des pays déstructurés. Elles ont toujours appris à travailler avec des administrations publiques sur place capables de gérer la coordination des aides. L’expérience montre leur incompétence. Regardez l’Afghanistan ou Haïti alors que le Vietnam est une réussite!


De plus, ces institutions internationales ne connaissent pas le monde francophone. Très peu de leurs cadres parlent français. A cela s’ajoute qu’elles se sont totalement désintéressées du secteur rural, alors que l’agriculture est très importante dans un pays comme la Centrafrique.


La France, parce qu’elle a l’expérience -de par son histoire commune, la présence d’instituts de recherche sur place et la culture administrative commune- pour gérer de telles situations, serait mieux armée. Mais elle a préféré confier ses ressources d’aides aux multilatéraux.


Comment la France pourrait-elle récupérer la main sur son aide au développement?



A l’heure actuelle, la France donne plus de la moitié de son budget consacré à l’aide publique au développement aux institutions multilatérales. En fait, si l’on s’intéresse aux ressources effectivement consacrées à financer des projets de développement, les multilatéraux sont vraiment les grands bénéficiaires. L’essentiel de notre aide bilatérale est soit pré-affecté, soit sous forme de prêts inadaptés aux besoins des pays du Sahel. Il est difficile de modifier profondément cette répartition qui s’est pourtant faite au cours des années, dans le secret des cabinets. Pour sortir de cette impasse, je propose de créer des "fonds fiduciaires" pour aider les pays dans les situations les plus urgentes, comme le Mali. Il s’agirait d’un certain volume de ressources dédiées à un usage spécifique, par exemple le développement rural dans un pays particulier. Ces fonds seraient alimentés par les institutions multilatérales et partiellement par la France mais permettraient de créer des structures de gouvernance dans laquelle la France avec son expertise retrouverait un rôle significatif. 


Je ne dis pas que les négociations avec les bailleurs internationaux seraient faciles. Mais c’est parfaitement jouable. Pour l’instant cette proposition ne semble pas convaincre nos décideurs qui pensent, un peu naïvement selon moi, que les grandes institutions multilatérales feront mieux sans nous. Il est aussi vrai qu’un tel fonds exigerait des arbitrages sévères au sein du budget de notre aide au développement, qui heurteraient quelques lobbies. Mais il est grand temps que les budgets de notre aide coïncident avec nos priorités géopolitiques. Il est quand même surprenant que le développement rural au Sahel n’ait mobilisé que 1,5 pour mille de notre aide publique au développement ces dernières années et que l’on cherche en vain dans les 114 pages d’annexe du budget 2014 consacré à notre aide au développement, les mots Sahel ou Mali. Avec une population qui aura triplé entre 2005 et 2050, les pays du Sahel francophone courent le risque de suivre la voie de l’Afghanistan si des jobs ne sont pas créés d’urgence. Sans doute est-il maintenant nécessaire de gérer sérieusement notre aide au développement


 

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