Des riches trop riches
La tendance est connue, mais cette fois plus de doute. Non seulement les inégalités s’accroissent entre les plus riches et les plus pauvres, mais l’écart atteint désormais des niveaux absurdes. A tel point que le devenir des sociétés est en jeu. Un professeur américain, Emmanuel Saez, de l’Université de Californie à Berkeley, l’a démontré dans ses derniers travaux: aux Etats-Unis, nous en sommes revenus au même étiage qu’en 1928 ! Le 1 % les plus riches recevait alors 23,9 % des revenus avant impôt. Et les 90 % les moins riches en récoltaient 50,7 %. Pour 2012, les données sont comparables. Le 1 % reçoit 22,5 % des revenus, tandis que les 90 % doivent se contenter de 49,6 % des revenus.
Une différence cependant: avant la crise de 1929, les revenus des plus riches provenaient de leurs fortunes, souvent héritées. Aujourd’hui, les revenus des milliardaires proviennent de leurs biens et de leur travail (bonus et autres primes). En Europe, la situation est un peu différente, du fait du maintien de l’Etat providence et d’un salaire minimum décent, mais là aussi l’écart entre plus riches et plus pauvres ne cesse de se creuser.
Barack Obama, dans son discours sur la mobilité sociale prononcé le 4 décembre dernier, n’a pas mentionné ces chiffres. Se gardant bien de revenir sur l’épineuse question de la fiscalité des plus riches, le Président des Etats-Unis a insisté en revanche sur la nécessité de revaloriser le salaire minium au niveau fédéral qui est aujourd’hui de 7,25 dollars l’heure. Un voeu pieux en fait car les républicains, majoritaires à la Chambre, sont opposés à toute mesure de ce type. Barack Obama a fait un « discours authentiquement progressiste », applaudit néanmoins le prix Nobel Paul Krugman dans le New York Times. Il n’est pas le seul à élever la voix. Le pape François avait fait de même en publiant le 26 novembre une « exhortation apostolique » où il s’en prend à cette économie capitaliste, où de nombreuses couches de la population « se voient exclues, marginalisées, en raison du jeu de la compétitivité et de la loi du plus fort, où le puissant mange le faible ». Le Saint Père pointe du doigt l’accroissement des inégalités « qui à terme mettra en péril la reprise économique ».
Inutile de dire que le Pape François tout comme Barack Obama ne plaisent guère aux tenants du tout-marché qui ne veulent rien apprendre des crises. Pourtant, deux ans après le mouvement Occupy Wall Street, il serait temps que les libéraux intelligents (au sens européen du terme) comprennent que le jeu actuel ne peut mener qu’à une impasse économique et politique. Certains républicains, outre-Atlantique, cherchent une réponse. Car ils savent que se contenter de stigmatiser les 47 % d’Américains qui vivent peu ou pour des aides de l’Etat, comme l’a fait Mitt Romney en 2012, ne peut mener qu’à la défaite lors de la prochaine présidentielle.