ANALYSES

« Si la crise devait continuer en Thaïlande, j’imagine mal l’armée ne pas finir par bouger »

Presse
12 décembre 2013

Yingluck Shinawatra, le Premier ministre de Thaïlande a pris ses opposants à contre-pied, hier, en décidant de dissoudre le Parlement et en convoquant des élections anticipées pour le 2 février. Las, l’effet de surprise n’a pas apaisé les 140.000 manifestants toujours déterminés à faire tomber le gouvernement. Olivier Guillard, spécialiste de la Thaïlande au sein de l’Iris (Institut des relations internationales stratégiques) explique comment cette crise profonde peut évoluer.


Suthep, le leader de l’opposition, a-t-il vraiment les capacités à mobiliser durablement les manifestants ?



L’Histoire ne retiendra pas son nom. Il a beau avoir été vice-Premier ministre, ce n’est pas lui, aujourd’hui, qui fédère le mécontentement. C’est une figure, certes, mais l’homme vient de nulle part. Il est le représentant d’un courant qui rassemble une partie de l’establishment conservateur, cette frange qui n’a pas compris que le paysage politique en Thaïlande avait changé depuis une quinzaine d’années. Suthep Thaugsuban a refusé, hier, la proposition de scrutin, mais il n’a pas de vision politique pour autant. Il n’est qu’un porte-drapeau, celui qui est là pour mettre un nom sur la colère qui gronde et qui secoue le Royaume depuis trois semaines maintenant. Il faut bien garder à l’esprit que ce mouvement part de la base vers le sommet et non l’inverse.


En décidant de dissoudre le Parlement, Yingluck Shina-watra a-t-elle cherché surtout à faire un coup politique ?



Beaucoup de voix, y compris dans l’opposition, s’accordent pour reconnaître que le Premier ministre gère – sans doute aidée par son frère Thaksin – la crise de façon très fine. Depuis trois semaines, et alors que le nombre de victimes se compte sur les doigts de la main, elle est parvenue à rebondir, tout en laissant ouvert le dialogue. Peut-on imaginer ailleurs qu’en Thaïlande un Premier ministre laisser des manifestants entrer dans les bâtiments publics ? Le message de Yingluck Shinawatra, aujourd’hui, peut se résumer ainsi : « J’entends bien que vous ne voulez plus de ce gouvernement. Puisque nous sommes dans un pays démocratique, je vous propose, donc, une sortie de crise par les urnes. » C’est une décision intelligente : elle met l’opposition au pied du mur. La question qui se pose est : ces élections anticipées pourront-elles avoir lieu ? Si la rue continue de gronder, on peut en douter.


Que peut-il se passer si la crise, précisément, devait durer ?



Si l’opposition continue de refuser cette politique de la main tendue, j’imagine mal ne pas voir l’armée bouger. On pourrait imaginer ensuite l’instauration d’un gouvernement d’exception, en attendant le retour au calme. Cette situation est très mauvaise pour l’image de la Thaïlande, les annulations par les touristes commencent à se compter par dizaines de milliers. Quant aux investisseurs qui y ont des intérêts économiques, ils commencent eux aussi à se poser des questions.

Sur la même thématique