ANALYSES

Un « arc de crise » traverse l’Afrique du Nord

Presse
16 décembre 2013

Sophie Bessis est une journaliste tunisienne renommée. Professeure d’histoire et ancienne rédactrice en chef de Jeune Afrique et du courrier de l’UNESCO, elle est actuellement directrice de recherche à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) à Paris. Magharebia l’a rencontrée à Nouakchott pour évoquer les problèmes sécuritaires et les obstacles qui entravent la transition démocratique en Tunisie, processus auquel elle participe activement en tant que personnalité éminente et active de la société civile.


Comment se déroule la transition démocratique en Tunisie ?



Elle est actuellement à l’arrêt en raison de plusieurs facteurs. Après la chute de la dictature, il avait été décidé que la république serait rétablie par l’élection d’une Assemblée Constituante chargée de rédiger une nouvelle constitution. Après la victoire du parti Ennahda lors des élections, par une majorité relative (37 %), il a été convenu que la constitution serait adoptée dans l’année qui suivait. Mais Ennahda et ses deux alliés, la Troïka comme on l’appelle, ne sont pas parvenus à respecter les délais impartis.  


Le second facteur est l’insécurité politique qui ne cesse de croître et la prolifération des groupes extrémistes. Ces derniers ont tout d’abord été protégés par le gouvernement et il y a eu des assassinats politiques, ce qui a été une première en Tunisie. Ces assassinats ont causé un vif émoi et presque un million de personnes sont descendues dans les rues. Après le second assassinat, celui de Mohamed Brahmi, l’opposition s’est désistée en réclamant la nomination d’un gouvernement non-politique. 


Ennahda a accepté le compromis et a amorcé un processus de dialogue national, mais les choses n’ont guère avancé depuis. Et depuis le mois de juillet, il n’y a plus aucun progrès. Cette situation a été organisée par le parti au pouvoir qui utilise une tactique d’atermoiement. Et l’Assemblée Constituante continue à gouverner, ce qu’elle n’a dorénavant plus le droit de faire.


Et quelles sont les conséquences de ce statuquo pour la Tunisie ?



La situation du pays ne cesse d’empirer. Ennahda a montré de la mollesse envers les jihadistes, qui ont eu le temps de s’organiser, et nous assistons maintenant à la formation de groupes jihadistes armés basés sur la frontière algérienne, ce qui n’avait jamais été vu auparavant en Tunisie. 


Quelle est votre évaluation de la situation sécuritaire ?



Nous ne devons ni fermer les yeux sur la situation, ni l’aggraver, il est clair qu’elle n’est plus la même qu’il y a quelques années.


La Tunisie est otage du contexte régional. La Libye a été déstabilisée et les armes se sont déployées dans toute la région. Le pays est actuellement contrôlé par les milices. Ainsi, le cancer qui touche la Libye a beaucoup à voir avec la situation actuelle. Les frontières sont également très poreuses. Il y a maintenant un arc de crise qui s’étend à travers toute l’Afrique du Nord jusqu’à la Somalie, en passant par le Nigeria.


Comment la Tunisie peut-elle parvenir à relever les défis sécuritaires ?



La situation sécuritaire dépend grandement de la situation politique. Ainsi, s’il y avait un gouvernement compétent, on modifierait le cours des choses. Mais jusqu’à ce qu’on soit en mesure de trouver une solution politique à la crise, cela sera très difficile. Les forces de sécurité et les services de renseignement sont largement inadéquats, et cette inadéquation doit être rapidement corrigée.


Pourquoi les jeunes rejoignent-ils si volontiers les groupes terroristes ?



Depuis le relâchement qui a touché le pays il y a deux ou trois ans, les prêcheurs dans les mosquées en ont profité pour attirer les jeunes avec des discours incendiaires. Et des écoles coraniques ont ouvert leurs portes en grand nombre, sans aucun contrôle. Ces écoles enseignent des idées extrémistes qui visent de jeunes garçons qui n’ont ni emploi, ni avenir, ni perspectives devant eux.


C’est un terrain fertile pour le jihadisme. Et, vous le savez, les mouvements jihadistes sont riches et ils ont beaucoup d’argent. Et c’est ainsi que des jeunes Tunisiens sont partis pour la Syrie.


Et comment les Tunisiens ont-ils réagi à ce danger?



En Tunisie, il y a une société civile très dynamique. Il y a des anticorps, même si la dictature a détruit un grand nombre d’entre eux. Concernant les jeunes qui se sont plongés dans le jihad, des mères se sont rendues en Syrie et en Turquie pour ramener leurs enfants chez eux.

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