ANALYSES

Thaïlande : « On n’a pas encore franchi un cap »

Presse
23 janvier 2014

Pour Olivier Guillard, directeur de recherche Asie à l’IRIS, la Thaïlande est dans un état de pourrissement et l’armée, si elle reste pour l’instant en retrait, pourrait finir par intervenir. Interview.


Peut-on dire qu’on assiste à une radicalisation du mouvement de contestation ces derniers jours ?



Non je n’ai pas le sentiment qu’on assiste à une élévation considérable du niveau de la contestation ou des violences. Si on considère que depuis à peu près trois mois la capitale est plus ou moins bloquée ou connaît des scènes de contestation antigouvernementale, avec des provocations permanentes, le nombre de victimes n’est pas considérable. Le bilan des dernières violences à Bangkok, après l’explosion d’hier et celle de vendredi, fait effectivement état de quelques dizaines de blessés (et d’un mort ndlr) mais ce n’est pas considérable, au regard de la tension qui règne. On est toujours dans le même état de pourrissement des choses, avec des positions radicales du côté du gouvernement qui s’en tient à son projet de demeurer au pouvoir et d’organiser des élections d’ici une douzaine de jours, et de l’autre, autour de la personne du leader monsieur Suthep, une détermination sans faille, qui s’accroche à une velléité de dégradation de la démocratie en essayant de démettre madame Shinawatra de ses fonctions. [Mais aussi] de repousser l’idée d’un scrutin, de confier la gestion des affaires du Royaume à un gouvernement non pas démocratiquement élu mais à un conseil du peuple qui représenterait la Nation, mais sans avoir d’élu direct, issu de quelque formation politique que ce soit. Donc on est dans un pourrissement de la situation mais on n’a pas basculé, pour l’instant, dans un chapitre plus grave ou plus violent.


Vous dites qu’il n’y a pas de violence considérable de manière absolue ou au regard des violences commises lors d’autres manifestations en Thaïlande ?



Oui tout à fait, si l’on se reporte trois ans en arrière, quand ceux qui sont aujourd’hui les contestataires étaient alors au pouvoir. Suthep, qui était alors le vice-premier ministre, faisaient partie de ceux qui avaient donné l’ordre aux forces anti-émeutes d’attaquer le camp des chemises rouges, installées dans le centre de Bangkok depuis plusieurs semaines. Là, il y avait eu des violences considérables, 1000 blessés et une centaine de victimes. Tandis qu’aujourd’hui, après 3 mois de quasi-paralysie du fonctionnement des institutions, de blocage de la capitale et de millions d’individus, on n’a pas le sentiment qu’on a franchi un cap. Évidement il faut dénoncer cet état de fait qui agace de plus en plus les habitants de Bangkok, qui aimeraient le retour à un fonctionnement normal de leur société, malgré cela, on n’a pas franchi un cap.


Malgré cela, Bangkok a connu deux attentats en l’espace de 3 jours, en pleine journée et en plein cœur des manifestations. Pourrait-on imaginer que l’une des deux parties pourrait avoir intérêt à ce nouveau surgissement de violences ?



Il est évident que des deux parties, celle qui a le moins intérêt à ce que les choses baignent dans la violence ou dans un degré plus important d’affrontement, c’est l’équipe au pouvoir. D’ailleurs elle s’emploie à minimiser les incidents. Imaginez qu’à Paris ou à Strasbourg, le gouvernement laisse entrer les manifestants dans les administrations, qu’ils prennent en otage leur fonctionnement, qu’ils coupent l’électricité sans qu’il y ait énormément d’arrestations. Monsieur Suthep est recherché officiellement par la police depuis des semaines, il se promène à la tête des cortèges au vu et au su de tous. La retenue du gouvernement montre bien qu’ils n’ont pas intérêt à basculer dans les affrontements et la violence. D’autant que cela pourrait amener l’armée, plus proche du pouvoir royal et des manifestants, à entrer dans le jeu.


Comment l’armée s’est-elle positionnée depuis le début ?



Traditionnellement l’armée fait partie du clan très proche du palais royal, elle est aussi proche des élites urbaines. L’armée est souvent, pour ne pas dire toujours, aux ordres des élites traditionnelles, de l’establishment, elle fait ce qu’on lui dit de faire. Là, elle fait clairement état d’un discours logique, en disant "nous n’intervenons pas, nous sommes les garants d’un maintien de l’ordre, que vous n’avez pas encore transgressé, quand cela viendra nous interviendrons". Il y a quelques jours, le chef d’état-major des armées, a dit qu’il n’excluait pas la possibilité de procéder à une intervention directe, à savoir à un coup d’état militaire, avec certainement l’assentiment du palais royal et bien sûr applaudi des deux mains par les opposants dans les rues de Bangkok.

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