ANALYSES

« Nous verrons si la situation en Ukraine facilite le dialogue ou au contraire constitue un obstacle supplémentaire à un dialogue UE-Russie. »

Presse
29 janvier 2014

Le 32ème sommet UE-Russie s’ouvre ce mardi 28 janvier à Bruxelles. La rencontre réunit le président russe Vladimir Poutine, son ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy et la Haute représentante, Catherine Ashton. Cette réunion s’inscrit dans le cadre de la recherche d’un nouvel accord de partenariat entre l’UE et la Russie, afin d’établir des relations bilatérales étroites. Alors que le climat du sommet à Bruxelles est dépeint comme "glacial", "sous tension" ou encore "explosif", Laure Delcour, directrice de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste de la Russie et de l’action extérieure de l’Union européenne, analyse les enjeux des négociations entre l’UE et la Russie à propos du nouvel accord de partenariat.


Engagées depuis de nombreuses années, les négociations d’un nouvel accord de partenariat entre l’Union européenne et la Russie stagnent. La réunion qui se tient à Bruxelles le 28 janvier peut-elle être qualifiée de "sommet de l’espoir" ?



Non, pas particulièrement. Il s’agit en fait d’un sommet comme il y en a deux fois par an entre l’UE et la Russie. Très souvent ces sommets n’ont pas abouti sur de véritables avancées. Dans le contexte actuel, on ne s’attend pas à ce que cette rencontre donne lieu à des progrès nouveaux notamment dans la négociation de l’accord. Parce qu’en fait la Russie souhaiterait que cet accord tienne compte du projet d’intégration eurasiatique et que l’UE souhaite, quant à elle, signer un accord avec la Russie.


Quels sont les principaux points de désaccord entre l’UE et la Russie ?



L’UE et la Russie ont des désaccords sur trois dossiers principaux. D’abord au sujet des échanges commerciaux. Il s’agit de savoir avec qui l’accord sera signé. Est-ce avec l’union douanière formée actuellement par la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan et qui va être rejointe par l’Arménie ? C’est ce que souhaiterait la Russie. Ou bien est-ce la Russie elle-même qui va signer cet accord ? C’est ce que souhaite l’Union européenne.


Deuxièmement, la Russie attend beaucoup de l’UE sur la libéralisation des visas. Mais pour lever l’obligation de visas dans l’espace Schengen, Bruxelles impose des conditions  techniques qui sont extrêmement strictes que ce soit à l’encontre de la Russie ou d’autres pays. Ces conditions ne sont pas remplies à l’heure actuelle. De ce point de vue, il est donc peu probable qu’il y aura des avancées.


Le troisième dossier concerne bien sûr l’énergie. C’est un dossier, dont les désaccords sont mieux connus. Le dernier développement en date est l’ouverture d’une enquête par la Commission européenne à l’encontre de Gazprom pour abus de position dominante.


A ces principaux dossiers vient s’ajouter la question du voisinage commun à l’UE et la Russie. On a vu au cours de ces derniers mois les pressions russes vis-à-vis de l’Arménie, vis-à-vis de l’Ukraine qui voulait conclure un accord d’association avec l’UE. Et puis bien sûr le dossier ukrainien avec la détérioration récente de la situation dans le pays. Pour l’instant l’UE n’a jamais réussi à aborder véritablement les questions de voisinage commun.


Nous verrons lors de ce sommet si la détérioration de la situation en Ukraine facilite le dialogue ou au contraire constitue un obstacle supplémentaire à un dialogue entre l’UE et la Russie sur cette question.


La Russie est-elle un partenaire indispensable à l’UE ? Et vice versa ?



Oui, c’est un partenariat indispensable pour les deux parties. Parce qu’une interdépendance étroite s’est développée notamment depuis la fin des années 1990 – le début des années 2000, notamment depuis l’élargissement de l’UE aux PECO. L’UE est premier partenaire commercial de la Russie. La Russie est le troisième partenaire commercial de l’UE. Sur le plan de l’énergie, l’interdépendance est également très forte. La Russie fournit 36 % du gaz importé par l’UE. Et dans l’autre sens, la Russie dépend également de l’UE pour exporter son gaz. Donc on voit bien que c’est une interdépendance. Pour l’instant, il n’y a pas d’alternative à ce partenariat. Par exemple, la Russie ne peut pas exporter ses matières premières, se tourner vers d’autres marchés du jour au lendemain. C’est un partenariat en quelque sorte inévitable pour l’instant.


L’Ukraine, en choisissant un rapprochement avec la Russie, est-elle sortie définitivement du cadre du partenariat oriental de l’UE ?



Non, pas du tout. Il faut voir ce qu’on entend par "rapprochement avec la Russie". L’Ukraine ne s’est absolument pas engagée vis-à-vis de l’union douanière que conduit la Russie avec la participation de la Biélorussie, du Kazakhstan et bientôt de l’Arménie. A aucun moment Viktor Ianoukovitch a indiqué qu’il allait rejoindre cette union. Donc quand on parle de rapprochement avec la Russie, il faut bien clarifier ce qui est en jeu. Le rapprochement, pour l’instant, prend surtout la forme d’un prêt accordé par la Russie à l’Ukraine, le rabais sur le prix du gaz. Il n’y a pour l’instant aucun engagement concret à rejoindre l’union douanière. Pour l’instant l’Ukraine fait toujours partie du Partenariat oriental. Elle a paraphé son accord d’association avec l’UE, elle ne l’a pas encore signé. L’enjeu principal est de savoir si cet accord sera ou non signé.


Mis en place en 2009, ce partenariat oriental est-il remis en cause en Ukraine ?



On ne peut pas parler de développement net sur ce sujet. Sur le plan des relations avec l’UE et la Russie, pour l’instant Viktor Ianoukovitch s’efforce de maintenir un équilibre entre les deux. Un équilibre à terme qui est extrêmement difficile à tenir. Donc il y aura, sans doute, en fonction surtout de l’évolution de la situation interne, un choix qui sera fait par rapport à l’accord d’association ou un engagement complémentaire avec la Russie.


Les élections européennes sont-elles susceptibles de changer la donne actuelle entre l’UE et la Russie ?



De manière extrêmement limitée tout simplement parce que le Parlement européen, même s’il prend de plus en plus de place, en matière de politique étrangère joue un rôle encore limité. Ce sont les Etats membres qui restent la clé et bien sûr le Service européen pour l’action extérieure dirigé par Catherine Ashton. Donc les élections européennes sont susceptibles d’apporter des nuances mais pas de changer radicalement le cours des choses.

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