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Twist again à Minsk : les raisons de l’étrange passion des Chinois pour le dernier dictateur d’Europe

Presse
5 février 2014
Désireux de brandir son indépendance vis-à-vis de la Russie de Vladimir Poutine, il semble que le chef d’Etat biélorusse Aleksandr Loukachenko se soit trouvé un nouveau parrain, la Chine de Xi-Jinping. Peut-on parler d’alliance stratégique entre les deux pays ?



Les relations de la Biélorussie, ou plutôt de son chef de l’Etat, avec les nations de l’Union européenne  et les Etats-Unis sont mauvaises, voire très mauvaises puisque des sanctions visant personnellement Loukachenko et un bon nombre de ses proches ont été prises dans les dernières années. On reproche à Aleksandr Loukachenko certaines déclarations antisémites ou homophobes. Le pays avait aussi été perçu comme faisant partie de la sphère d’influence de la Russie. En fait, depuis l’indépendance, les relations entre Minsk et Moscou ont toujours été complexes. Loukachenko n’a jamais accepté de se positionner en vassal obéissant. L’état de son pays l’a cependant toujours obligé à faire des concessions en échange d’une aide économique indispensable pour sa survie. D’un autre côté, la Russie a longtemps eu besoin de cet encombrant voisin qui demeurait un point de passage obligé en direction de l’Europe occidentale.  Aujourd’hui encore, les relations personnelles entre les deux dirigeants demeurent fortes : on a les a vu, début janvier, jouer au hockey sur glace dans la même équipe.


Les relations avec la Chine ont démarré très tôt après l’indépendance et les échanges commerciaux entre les deux pays ont régulièrement pris du volume. Loukachenko s’est rendu en Chine en 1995, 2001, 2005 et 2010 et 2013. Lors d’une interview donnée en octobre 2010, il déclarait que la Chine était le meilleur ami de son pays. Dans le cadre de la dernière visite, en juillet 2013, il a signé avec Xi Jinping un accord de coopération stratégique bilatéral. Cette signature, qui a revêtu une grande solennité, doit cependant être relativisée. Les accords de coopération qui ont été mis en place sont principalement économiques. Les autres déclarations relèvent plutôt de l’affichage d’une convergence de vue sur l’état du monde que d’une relation stratégique équilibrée.


Xi Jinping a remis à la Biélorussie le Prix de l’Amitié lors de la visite officielle du Premier ministre de Loukachenko. Comment expliquer que la Chine se soit prise d’amitié pour le dirigeant biélorusse ? Qu’est-ce que ça révèle de la stratégie chinoise ?



Le Prix de l’Amitié avait été remis à Myasnikovich, premier Ministre de Loukachenko, en 2011, pour sa contribution "exceptionnelle" aux relations sino-biélorusses.  Ceci a été rappelé au cours de la visite faite par  Myasnikovich en janvier 2014, au cours de laquelle les deux pays ont signé un accord-cadre de coopération quinquennal.


Cette relation entre Pékin et Minsk, qui est présentée comme privilégiée et exceptionnelle, peut paraître étonnante. Le Président biélorusse est considéré, dans tout l’Occident, comme "le seul dictateur européen". Elu peu de temps après l’indépendance, il a commencé par établir quelques liens avec l’Ouest, en particulier avec l’OTAN. Les relations se sont rapidement dégradées, et le régime mis en place par Loukachenko est devenu de plus en plus autoritaire, au point de se voir qualifier de stalinien. Dès la mise en place d’une nouvelle constitution, en 1996, les atteintes aux droits de l’homme ont pris une ampleur telle que l’Union européenne et les Etats-Unis ont fortement baissé le niveau de relations et pris des sanctions contre les dirigeants biélorusses.


Ce qui est qualifié "d’amitié chinoise" est en fait l’habillage d’un rapport très pragmatique. La mise en place d’une relation privilégiée avec la Biélorussie fait partie d’une double démarche de la Chine. Diplomatiquement, elle se positionne volontiers comme un grand frère vis-à-vis de pays rejetés ou abandonnés par la communauté internationale. Economiquement, elle investit volontiers dans les pays disposant d’un PIB relativement faible. Cela lui permet à la fois de trouver des débouchés, surtout pour ceux de ses produits qui sont d’un niveau trop faibles pour être exportés en Occident, et de faire des investissements spéculatifs dans un tissu industriel dont elle veut faire une tête de pont en direction de l’Europe. La Chine espère sans doute aussi trouver, comme elle le fait en Ukraine, des savoir-faire, des ingénieurs et des techniciens qualifiés qui lui manquent cruellement.


Après que Washington a imposé des sanctions à la Biélorussie en 2011 contre son régime totalitaire, la Chine a offert à Aleksandr Loukachenko un milliard de dollar ainsi qu’une assurance de "soutien complet pour sa position sur les questions nationales et internationales". Que recherche concrètement Aleksandr Loukachenko dans sa relation avec le régime chinois ? Que va-t-il y trouver ?



Dans cette relation, Loukachenko semble avant tout chercher le soutien d’un grand pays, qui pourrait même empêcher que des sanctions trop graves soit prises contre lui grâce à la gestion de son droit de veto au Conseil de Sécurité de l’ONU. Quant au "don" d’un milliard de dollars, il semble qu’il faille fortement le relativiser. Il s’agirait plutôt d’un prêt (dans des conditions avantageuses toutefois), destiné à permettre à la Biélorussie de procéder à des achats en Chine. Le commerce extérieur entre les deux pays est d’ailleurs très déséquilibré, au profit de Pékin bien entendu.


Le cas particulier de la Biélorussie est-il anecdotique ? Quel est le positionnement global de la Chine vis-à-vis des régimes infréquentables


Le type de relation qui s’est établi entre la Biélorussie et la Chine et dont l’annonce va bien plus loin que la portée réelle, n’est pas unique. Pékin a toujours eu des relations particulières avec des pays que les Occidentaux considèrent comme infréquentables. Cela a commencé par le soutien, purement idéologique et désormais perçu comme une gêne, apporté à la Corée du Nord. Cela s’est poursuivi, dans les grandes années du maoïsme, par une volonté d’exportation du modèle chinois. Ceci s’est traduit par un soutien, surtout matériel, à tous les mouvements d’indépendance "progressistes". Par la suite, Pékin a été soupçonné, souvent à raison, d’activités proliférantes, tant nucléaires que balistiques.


Aujourd’hui, la diplomatie chinoise continue de mettre en avant les "5 Principes de la coexistence pacifique", au nom desquels elle s’interdit, en toute hypocrisie parfois, de juger la gouvernance des pays avec lesquels elle établit des partenariats. Quand ces pays sont capables de fournir ce qui manque à la République populaire, bois, pétrole, terres cultivables et d’appuyer les prises de position de Pékin dans les instances internationales, un "partenariat" bien géré est un excellent investissement. La diplomatie chinoise, très à l’aise dans la  gestion des relations bilatérales, est aussi culturellement marquée par une peur qui va souvent au-delà de la raison, de tout ce qui est multilatéral. Trouver un allié – ou un maillon faible – au sein de ce qui pourrait devenir une alliance anti-chinoise devient alors une priorité, qui conduit à offrir un traitement privilégié au "mouton noir".

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