ANALYSES

François Hollande à Washington : ce que la France a vraiment besoin de dire aux Américains

Presse
10 février 2014
Le président Hollande est reçu aujourd’hui par Barack Obama avec tous les honneurs réservés par la diplomatie américaine, le président étant convié à bord d’Air Force One pour se rendre dans la villa emblématique de Thomas Jefferson à Monticello. Comment interpréter ce traitement de faveur relativement exceptionnel pour un dirigeant français ?



Les Etats-Unis se trouvent dans une position particulière vis-à-vis des dirigeants européens et de la France en particulier. La volonté américaine de renforcer la position économique des Etats-Unis dans le monde avec deux traités, le Transatlantique pour l’Europe et le Transpacifique pour l’Asie et l’Amérique latine, oblige Barack Obama à faire assaut de charme en direction des leaders d’opinion de ces ensembles régionaux. En ce sens, le traitement réservé à François Hollande se comprend comme une volonté d’amadouer la France qui a toujours été depuis le général de Gaulle le pays le plus méfiant vis-à-vis des initiatives américaines visant le continent européen.


Alors que l’Elysée a été piraté en octobre 2013 par la NSA, la question d’un éventuel accord de non-espionnage est sur toutes les lèvres, l’Angleterre et l’Allemagne plaidant elles-mêmes pour l’adoption d’un traité. L’Hexagone a-t-il une chance d’être entendu sur un tel sujet ?



L’espionnage entre alliés a toujours existé et il faut en être conscient ; non pas que ce soit « normal » mais cela fait partie des pratiques. Le souci dans cette affaire est que plusieurs pays, dont l’Allemagne, pensaient qu’en coopérant pleinement avec Washington cela les mettait à l’abri de manœuvres d’espionnage. La désillusion n’en a été que plus grande pour ces derniers lors de la découverte de l’interception des communications de la Chancelière.


Un tel accord, même s’il peut être ardemment souhaité par les principaux pays européens, a peu de chances d’être entendu à partir du moment où les Etats-Unis considèrent qu’il s’agit là d’une question de sécurité nationale. Ils craignent en effet que l’insuffisance des moyens de renseignement européens ne puisse leur être à terme préjudiciable avec la possibilité que des services européens ne laissent passer d’éventuels terroristes en direction des Etats-Unis.


En outre, le système du renseignement américain fonctionnant aussi au service des entreprises nationales, ce serait se priver d’une arme de guerre économique très efficace pour une puissance dont l’économie, même si elle redécolle, peine à retrouver son niveau d’avant la crise. Il faut rappeler que les principaux compétiteurs des entreprises américaines restent, pour le moment, les entreprises européennes et que, dans ce cas, tout avantage est bon à prendre dans la compétition internationale ; y compris l’espionnage économique.


La négociation du traité de libre-échange entre Washington et Bruxelles est toujours en cours bien que des inquiétudes existent des deux côtés de l’Atlantique en termes d’impact économiques négatifs. Après la timide victoire sur l’exception culturelle française, quels sont les leviers de négociation disponible pour François Hollande sur ce domaine ?



Pour le moment, aucun ne semble se détacher pleinement. Les Européens ne sont pas d’accord sur les éléments à protéger. La définition des secteurs stratégiques, quand elle existe, n’est pas la même selon les pays et F. Hollande ne se rend pas à Washington avec un mandat de négociation pour l’Europe. Les Etats-Unis ont tout intérêt à jouer des désirs de chaque pays européen contre ceux de ses voisins pour imposer un accord le plus global possible. L’exception culturelle est un élément qui peut être d’autant mieux admis que l’Europe a toujours été regardée dans le monde comme LE continent de la culture. Pour ce qui est des autres secteurs, la disparité entre la France et ses voisins semble malheureusement trop grande pour espérer obtenir un front uni.


La question de la coopération militaire entre les deux pays n’est pas négligeable, les Américains ayant affirmé qu’ils souhaitaient s’engager d’avantage en Afrique ou la France entretient plusieurs opérations extérieures. Alors que l’aide de Washington avait été très timide pour le Mali et la Centrafrique, peut-on imaginer qu’elle se renforce à l’avenir ? Dans quelles proportions ?



En fait l’aide américaine a été décisive pour les opérations françaises en Afrique. Les Etats-Unis ont fourni des moyens logistiques et de renseignement, via notamment leurs drones, qui se sont avérés indispensables à la réussite de ces opérations de projection. En outre, les Américains sont extrêmement contents que la France ait pris l’initiative sur les dossiers malien et centrafricain puisqu’eux-mêmes ne souhaitaient pas s’impliquer dans la région ; leurs dernières expériences africaines (Somalie en 1992) n’ayant pas été de francs succès. Cette coopération militaire ad hoc relève donc d’une double volonté qui peut aussi se comprendre côté américain dans l’optique de la limitation des engagements (retraits d’Irak et d’Afghanistan) pour se réorienter vers le Pacifique.


Les Etats-Unis ont ainsi pu constater que la France reste la seule puissance militaire crédible d’Europe, capable de se projeter hors de son continent d’origine – tant sur le plan des moyens que de la volonté politique – et cela signe le retour d’une certaine forme d’alliance privilégiée franco-américaine. Même s’il serait simpliste de voir les choses sous cet angle, il est possible de considérer que les Etats-Unis voient la France comme leur porte de sortie pour les engagements éventuels dans une zone Europe-Maghreb-Afrique où ils ne veulent plus être aussi présents que par le passé.


Par ailleurs, les relations entre L’UE et les Etats-Unis semblent peu chaleureuses alors qu’une diplomate américaine a récemment manifesté son mécontentement face à la gestion européenne de la crise ukrainienne. Une meilleure coopération sur le sujet semble-t-elle envisageable ?



Il y a toujours eu deux courants dans la diplomatie américaine, entre des europhiles désireux d’entretenir de bonnes relations avec l’Union Européenne, ne serait-ce que pour mieux y faire de l’entrisme de manière très pragmatique, et ceux qui considèrent que c’est une structure pachydermique incapable d’avancer sur les vrais problèmes. De ce point de vue cela ressemble beaucoup aux débats intra-européens. La question de l’Ukraine et, de manière plus large des Etats d’ex-URSS, a toujours empoisonné les relations trilatérales Etats-Unis – UE – Russie. Si l’intégration des pays baltes dans l’UE s’est bien passée, c’est qu’elle relevait d’une volonté commune nette et d’une communauté de culture marquée. Le cas ukrainien présente des déterminants totalement différents ; le pays est proche culturellement de la Russie – même si une fracture géographique existe entre Est et Ouest – a été sous domination russe depuis plus longtemps et représente pour Moscou un point d’intérêt géopolitique majeur. La Révolution Orange puis l’échec de Viktor Iouchtchenko en 2010 ont été des éléments d’une lutte d’influence américano-russe qui se poursuit aujourd’hui. Les Etats-Unis souhaiteraient un positionnement clair de l’UE sur le sujet mais les relations de nombreux pays de l’Union avec la Russie et de la complexité de la problématique intérieure au pays font que les Européens ne veulent pas être entrainés dans ce qui s’apparente à un « piège » géopolitique.


Au-delà de ces thématiques très visibles, quels sont les sujets que le président français se devrait d’aborder ?



De nombreuses questions devraient être abordées, mais au-delà de celles bilatérales entre Etats-Unis et France, je pense que les questions multilatérales de coopération dans les organisations internationales, sur le climat, la sécurité (sur le nucléaire iranien par exemple), le commerce devraient occuper une bonne part des échanges puisque la position américaine en ces domaines reste prépondérante. Il s’agirait d’obtenir des assurances ou, à défaut, de connaitre les positions américaines sur ces sujets majeurs pour ensuite être capable de manœuvrer internationalement de manière plus efficace en se positionnant vis-à-vis d’un pays qui demeure la première puissance mondiale. En ce sens François Hollande devrait se servir de cette rencontre pour écarter un peu le brouillard inhérent aux relations internationales.


 

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