Pékin et Taïwan savent que leur petite guerre coûte cher
C’est la première fois que cette rencontre est présentée comme totalement officielle. Il y a eu depuis une vingtaine d’années plusieurs rencontres entre organismes théoriquement non gouvernementaux – mais qui le sont en fait totalement. Là, ce sont vraiment deux organismes gouvernementaux qui se rencontrent. On est donc monté d’un « cran » dans les rencontres entre les deux pays.
Les dirigeants chinois et taïwanais savent que la petite guerre qui dure entre les deux côtés leur coûte extrêmement cher à tous les niveaux : politique, militaire et économique. Et qu’une relation bien construite entre les deux parties leur permettrait de mettre fin à cette querelle. Ensuite, que ce soit Ma Ying-jeou à Taïwan ou Xi Jinping en Chine populaire, les dirigeants au pouvoir ont aussi des problèmes de gouvernance interne. Cette rencontre est donc peut-être une manière de remonter la pente dans un contexte de politique intérieure difficile.
Dans un premier temps, c’est avant tout pour régler un problème de communication. Lorsque j’habitais à Taïwan, il y a une trentaine d’années, nous ne nous rendions pas d’un côté à l’autre du détroit : il fallait passer par Hong Kong. Il était par ailleurs interdit d’envoyer un courrier en Chine, d’écouter la radio ou de regarder la télévision chinoise, et inversement. À l’heure actuelle, un tiers des vols qui décollent de Taipei vont sur le continent. Les choses ont donc beaucoup changé, même si l’on n’a pas encore de relations officialisées, en particulier sur le plan juridique et sur celui de l’établissement des entreprises. Le fait d’avoir des bureaux mutuels de représentations permettrait de changer un peu cette relation encore tendue.
La vision donnée à l’extérieur est celle d’un rapport pacifié, devenu plus normalisé entre les deux parties. Et puis il y a la vision que l’on présente à l’intérieur : dans la Chine continentale, c’est celle d’une « conquête ». On présente les choses comme si Taïwan était en train de redevenir une province chinoise normale, qui accepte l’autorité de Pékin. De l’autre côté, le gouvernement de Ma Ying-jeou à Taïwan évoque la pacification des relations qui leur permettrait de mieux contrôler ce qu’il se passe d’un côté et de l’autre du détroit.
Le terme de « nationalistes » est un terme assez dépassé. Les Taïwanais sont en fait favorables au maintien d’un statu quo, c’est-à-dire qu’il n’y ait pas de dépendance politique de Taïwan vis-à-vis de la Chine populaire. Ce statu quo les intéresse s’il est assorti d’ouverture des relations. Il faut en effet savoir qu’il y a aujourd’hui plus d’un million de Taïwanais qui vivent en « célibataires géographiques » sur le continent où ils font des affaires ou s’enrichissent la semaine et reviennent le week-end à Taïwan où ils vivent de manière plus agréable. Les deux parties auraient intérêt à avoir un rapport pacifié sous la forme d’un « habillage » quelconque : celui d’une fédération ou encore d’une union, sans pour autant mélanger les deux systèmes.
Elle n’est pas envisageable en Chine populaire ou à Taïwan. Mais elle pourrait avoir lieu à l’extérieur : un certain nombre d’organismes asiatiques organisent des forums et l’on pourrait imaginer que les deux présidents invités à ces rencontres, se retrouvent en marge du forum. Cette rencontre pourrait alors être gérée et médiatisée et d’un commun accord entre les deux parties.
Depuis son arrivée en 2008 à la tête du Kuomingtang [le parti au pouvoir à Taïwan] Ma Ying-jeou a beaucoup fait pour le rapprochement avec la Chine continentale. Mais beaucoup de Taïwanais considèrent ces rapprochements comme dangereux, dans la mesure où ils comportent des concessions que la majorité de la population taïwanaise n’accepte pas. Aujourd’hui, il semblerait que Ma Ying-jeou ait de gros problèmes de popularité dans son propre pays. Cette rencontre est une nouvelle tentative qu’il fait pour remonter un peu dans les sondages, sachant que les sondages faits à Taïwan n’ont pas la même valeur qu’en France : ce sont des sondages faits au niveau étatique et qui tiennent lieu de guide de politique