ANALYSES

« En Iran, le foot féminin est un moyen de défier le pouvoir »

Presse
3 mars 2014
La Fédération internationale de football (Fifa) vient d’autoriser le port du voile pour les joueuses de football. Cette décision fait suite au lobbying politique de pays musulmans. Pensez-vous qu’elle est aussi due à un lobbying financier ?



Ne tombons pas dans la théorie du complot qui stipulerait que la Fifa est vendue corps et âme à des pays musulmans qui font régner l’ordre par leur puissance financière. Cette décision est politique, elle n’est pas financière. Il y a une volonté claire et nette de la Fifa d’étendre son empire et d’avoir le plus de pratiquants possible. Géographiquement, c’est fait. Maintenant, les marges de progression sont à chercher chez l’autre moitié de l’humanité. Chacun sait que le développement du foot passe aujourd’hui par le foot féminin. Par ailleurs, la Fédération internationale de rugby a aussi autorisé le port du foulard.


Marine Le Pen dénonce une décision qui serait prise sur pression du Qatar, “pour favoriser le déversement de l’argent des pétro-monarchies”. Est-ce farfelu ?



Marine Le Pen fait une obsession sur le Qatar, c’est son problème. On est un peu dans “les Protocoles des sages de Doha” avec elle. La Coupe du monde de 2022 organisée par le Qatar est masculine. Certes, ce pays a une puissance financière dans le foot mais ce n’est pas lui qui dirige la Fifa. Depuis que le Qatar a racheté le PSG l’équipe de foot féminine a vu ses moyens renforcés. D’ailleurs, le fait que l’équipe de foot féminine française soit bien traitée est très récent.


Frédéric Thiriez, le président de la Ligue de football professionnel (LFP), a déploré dans un communiqué une “grave erreur” qui “malmène le principe d’universalité du football”. Pour lui, “alors que la charte olympique exclut tout signe religieux, cette autorisation va à l’encontre du droit des femmes et menace la neutralité d’un football préservé des querelles religieuses et politiques”. Etes-vous d’accord ?



Frédéric Thiriez a une position française, qui est aussi celle de la FFF. En France, il ne sera pas possible de pratiquer le foot avec un foulard. Je suis d’accord qu’il est hypocrite de déguiser le voile en signe culturel en occultant son aspect religieux – c’est l’argument utilisé par la Fifa pour pouvoir l’autoriser. Effectivement, à n’en pas douter, le foulard est un signe religieux. Après, va-t-on demander aux joueurs d’arrêter de se signer lorsqu’ils entrent sur le terrain ou lorsqu’ils ont marqué un but ? C’est compliqué. Si on pousse le principe de laïcité au bout, il faudrait aussi interdire ces signes-là.


La France pourrait-elle interdire aux joueuses iraniennes de jouer sur son territoire ?



Elle s’exposerait à des sanctions de la Fifa. Si la France ne veut pas l’appliquer, le meilleur moyen est de ne pas inviter l’Iran ou la Malaisie en compétition amicale. Mais si la France devait accueillir une compétition féminine, elle aurait beaucoup de problèmes à empêcher une équipe dans laquelle des joueuses porteraient un foulard de jouer.


Une partie des associations féministes estiment que cette décision va à l’encontre des droits des femmes. Qu’en pensez-vous ?



Il y a toujours deux argumentaires. Certains estiment que le foulard est une absence de liberté. Je pense que la plupart des femmes le portent volontairement. Le président de la Fédération internationale de rugby, Bernard Lapasset, explique que le fait d’autoriser le port du foulard a permis d’aider la pratique des femmes dans certains pays. Il y a là encore deux points de vue. Certains disent qu’en autorisant les femmes à jouer en foulard on augmente la pratique sportive, or celle-ci est un facteur d’indépendance. D’autres vont dire que c’est un signe de reniement. Au final, je pense que porter le foulard serait une régression dans les pays qui ne l’autorisent pas. Mais dans des pays comme l’Iran, cela va permettre une plus grande pratique du sport par les femmes.


En Iran, les femmes ne sont pas autorisées à entrer dans les stades. Stepp Blatter, le président de la Fifa, a plaidé en Iran contre cette mesure. Si on autorise le voile, ne faudrait-il pas demander des contreparties ?



Des contreparties qui concernent le jeu. La Fifa n’a pas autorité pour intervenir dans l’ordre public des pays en question. En Iran, c’est très ambivalent. Des femmes ont déjà forcé l’accès au stade pour défier le pouvoir. Lorsque l’Iran s’est qualifié pour la Coupe du monde en 1998 il y a eu des manifestations de joie qui ont rassemblé femmes et hommes. Un défi au pouvoir qui n’a rien pu y faire. Si l’équipe féminine de foot d’Iran faisait un bon résultat, je suis sûr qu’il y aurait des manifs mêlées. Et le pouvoir n’y pourrait rien. Le sport, souvent vu comme l’opium du peuple, est ici un moyen de défier le pouvoir. L’Iran ne pourra pas interdire l’accès au stade indéfiniment, quitte à faire des tribunes séparées.


 

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