Les bons, la brute et les méchants
Il y a toujours quelque facilité à juger des affaires internationales en terme de bien et de mal. La morale ne fait pas toujours bon ménage avec la politique. Prenez les événements en Ukraine. Pendant des semaines, la plupart des médias étrangers ont présenté les choses en noir et blanc : d’un côté les courageux manifestants de Maïdan, de l’autre le détestable président Viktor Ianoukovytch. Puis, suite à l’accord du 21 février entre les deux parties, les choses ont commencé à changer. Comme Maïdan ne respectait pas cet accord, on a vu de plus en plus d’articles sur le noyau « néo-fasciste » de Maïdan. On insistait même pour expliquer que l’Ukraine, au fond, n’avait jamais fait, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, son « examen de conscience » (encore un vocabulaire emprunté à la morale !). Beaucoup d’Ukrainiens de l’Ouest n’ont-ils pas servi de supplétifs pour les nazis, n’est-ce pas ? Mais, très vite, dès le 22 février, la presse internationale s’est trouvée un nouveau « vilain » en la personne de Vladimir Poutine. Non seulement le président russe n’avait pas accepté l’accord mis au point par l’Union européenne, mais il se permettait de prendre – sans coup férir – la Crimée, en s’appuyant d’ailleurs sur le fait que l’opposition ukrainienne ne respectait pas l’accord en question et avait chassé Ianoukovytch. La plupart des journaux occidentaux entonnaient donc la partition de la « Guerre froide », et mettait en exergue la brutalité de ce « tsar » issu des services de renseignement soviétiques !
Mais, à présenter ainsi les Européens comme des « anges » et Poutine comme la « bête », on risque de ne pas comprendre pourquoi les uns et les autres agissent ainsi. Des intérêts matériels, très concrets, sont en jeu. Des questions symboliques aussi, ancrées le plus souvent dans une histoire et une mémoire collective de plusieurs siècles.
Il serait aisé de prendre d’autres exemples, comme la Palestine ou l’Iran, afin de déconstruire ce qui est présenté trop souvent en termes de morale. Un autre conflit, ces derniers jours, donne lieu à des lectures manichéennes, c’est celui qui voit s’affronter une grande partie de la bourgeoisie vénézuelienne au « pouvoir bolivarien » du président Nicolas Maduro. Les reportages ne peuvent s’empêcher de prendre parti, soit en présentant Hugo Chavez et son successeur comme des usurpateurs incompétents (sans tenir compte des élections qu’ils ont remportées l’un et l’autre), soit en présentant l’opposition comme putschiste, donc illégitime. Le malheur du Venezuela est d’avoir trop de pétrole – et pas assez d’esprit. Chavez et Maduro ont certes bâti une politique sociale généreuse, certains diront clientéliste, mais ils ont été incapables, en plus de quinze ans de pouvoir, de jeter les bases d’une économie autre que celle de la rente. C’est un fait que des denrées élémentaires manquent dans les magasins. Mais l’opposition, elle, n’a rien appris durant ces quinze ans. Même si l’alternance – ici comme ailleurs – est souhaitable, il n’est pas sûr qu’un changement à la tête de l’Etat vénézuelien se traduise par autre chose qu’un retour à la kleptocratie d’antan, pire que le chavisme d’aujourd’hui.