L’Europe bien placée pour agir
Le coup de force de Vladimir Poutine en Crimée a indéniablement mis en cause l’intégrité territoriale de l’Ukraine. C’est une claire ingérence dans les affaires intérieures de l’Ukraine. Ce sont bien des soldats russes, même sous un autre uniforme, qui ont été envoyés pour prendre possession de la région. Le référendum qui aura lieu sous peu ne se déroulera pas dans des conditions acceptables. La comparaison faite par Poutine avec celui qui va se tenir en Ecosse ne tient pas la route. Il n’y a pas en Ecosse de troupes étrangères qui puissent peser sur la validité du scrutin. Par ailleurs, celui-ci a lieu avec l’assentiment de Londres On peut d’ailleurs noter que les Chinois, cette fois-ci, ne partagent pas la position russe. Ceci en cohérence avec leur dénonciation constante de toute ingérence. Le paradoxe est que beaucoup de partisans occidentaux du concept d’ingérence dénoncent l’action russe. L’ingérence est à leurs yeux bienfaisante et légitime lorsqu’elle est faite par les Occidentaux et doit être dénoncée lorsqu’est commise par d’autres.
Occidentaux et Russes jouent de façon contradictoire le principe de l’intégrité territoriale contre celui de l’autodétermination. Alors qu’ils ont commencé une guerre contre la Yougoslavie en disant ne pas vouloir remettre en cause sa souveraineté sur le Kosovo, les Occidentaux ont reconnu son indépendance, au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ils ont ainsi foule aux pieds l’intégrité territoriale de la Yougoslavie, les Russes ont protesté. Les Russes ont fait exactement la même chose en Abkhazie et en Ossétie du Sud et ils s’apprêtent à en faire de même en Crimée. Les uns et les autres parlent de valeurs et de principes, mais le font à géométrie variable.
Ceux qui ont approuvé la guerre d’Irak sont peu crédibles pour faire des leçons de morale a la Russie pour son action en Crimée. L’avantage de la règle juridique est justement de fixer des critères clairs et opposables à tous et non pas à la tête du client. Il serait donc bon de revenir au respect du droit international, mais en toutes circonstances et pas seulement quand cela paraît avantageux.
S’il est nécessaire de répondre à Poutine, encore convient-il de calibrer la réponse. II faut être ferme, mais éviter la posture confortable de dénonciation qui ne change en rien les réalités sur le terrain ou la surréaction, qui les aggrave.
De trop nombreux responsables et commentateurs ont parlé d’un retour à la guerre froide. Certains ont même été jusqu’à faire une comparaison entre l’action de Poutine et celle d’Hitler. Ce type de comparaison ne permet pas d’avancer vers un règlement, il ne peut que conforter Poutine dans sa crispation.
Les Européens dans cette affaire doivent se concerter avec les Américains mais certainement pas s’aligner sur leur position. Car le climat de guerre froide qui est évoqué à propos de la politique de Moscou n’a pas tout à fait disparu aux Etats-Unis. Par rapport à la Russie, les Etats-Unis conjuguent sous-estimation et surestimation de sa puissance Washington part du principe que la Russie a perdu la guerre froide et qu’il n’est pas nécessaire de tenir compte de ses avis, que Moscou sera obligé de se plier à ses injonctions ou à sa politique. Ce fut le cas dans les années Eltsine qui n’avait ni les moyens ni la volonté de s’opposer aux Etats-Unis. C’est à cette période et cette politique que Poutine a voulu mettre fin. Mais il y a d’autre part une surestimation en considérant la Russie comme l’héritière directe de l’URSS et toujours comme une menace majeure. D’où un élargissement successif de l’Otan malgré l’engagement formel de ne pas y procéder, pris lors de la réunification allemande, ou le projet de déploiement de missiles antimissiles dont pourtant Obama dit en 2008 qu’il reposait sur des technologies non prouvées sans financement connu et qui répondait à une menace inexistante. Ce qui explique, au moins partiellement, le raidissement de Poutine.
Les Européens n’ont pas cette mentalité de guerre froide, cet héritage du passé, ils sont donc mieux placés pour trouver un accord et proposer une solution. Si l’on veut modifier la réalité, il faut partir de cette dernière. On ne réglerait pas la question ukrainienne sans la Russie et encore moins contre elle. Négocier ne veut pas forcément dire céder et accepter les conditions de l’autre. Il serait peut-être temps de cesser d’invoquer les Accords de Munich dès que l’on commence à négocier avec un pays avec lequel nous avons un différend, quelle que soit sa gravité. Si on veut affaiblir la position de Poutine et gagner la bataille de l’opinion, il faut utiliser des arguments indiscutables, et non des thèses dont il pourra faire valoir le caractère contradictoire.