ANALYSES

L’éclatement du monde arabe

Presse
2 avril 2014

Le monde arabe, qui aime évoquer son unité, est plus éclaté que jamais. Nombre de ses principaux États ont perdu une grande partie de leur puissance stratégique, déjà limitée. Ceux qui, il y a trois ans, comptaient sur un effet domino – débouchant sur la mise en place quasi générale de régimes démocratiques – se sont trompés. Ce qui se passe dans le monde arabe depuis 2011 montre que l’échelon national reste l’échelon pertinent d’analyse géopolitique à l’heure de la globalisation. Il n’y a pas « un printemps arabe », mais 21 scénarios nationaux différents les uns des autres. Ceux qui croyaient que le monde arabe était durablement à l’écart de la mondialisation et de l’émission de revendications politiques ont également eu tort. Même si la répression est, dans certains cas, dramatique, le monde arabe n’est pas à l’écart du mouvement global et notamment la perte du monopole de l’information par le gouvernement et la montée en puissance des opinions.


Si le monde arabe a pris ce tournant avec un léger retard historique, par rapport à d’autres parties du monde, ce n’est pas pour des raisons de civilisation mais pour des raisons stratégiques et historiques : trahison des promesses d’indépendance après la Première Guerre mondiale, conflit israélo-arabe, guerre froide et enjeux pétroliers.


Si les pays du Golfe, à l’exception de Bahreïn, se portent bien du fait de leurs revenus énergétiques et de placements judicieux, des États qui jouaient un rôle important auparavant sont extrêmement affaiblis. L’Irak ne s’est toujours pas remis de la guerre de 2003, la Libye ressemble de plus en plus à un État failli, déchiré par des violences internes, la Syrie s’enfonce un peu plus chaque jour dans l’horreur, le chaos et la destruction. On peut se demander non seulement comment ce conflit va prendre fin, mais de quelle façon le pays pourra se relever s’il se termine un jour. Et l’Egypte semble s’enfoncer dans un cycle bien connu de répression et d’attentats qui n’est pas tout à fait de nature à faire redémarrer son économie et faire revenir les touristes. Il faudra voir si l’Arabie saoudite est en mesure de lui apporter une aide massive sur le long terme, ce qui de toute façon ne réglera pas le problème.


Il y a à l’inverse un « modèle tunisien ». Malgré tous ceux qui prédisaient le pire pour ce pays, malgré les assassinats d’hommes politiques, malgré les tentatives d’étouffement des libertés, il semble sortir des incertitudes et aller vers plus de stabilité, de nature à permettre le retour à la croissance et la diminution du chômage. En Tunisie, les problèmes politiques ont été résolus par des moyens politiques. Les combats sont restés dans cette arène, à la différence de l’Irak, de la Libye, de la Syrie et de l’Egypte où c’est la force armée, à chaque fois dans des circonstances différentes, qui a été l’origine de la prise du pouvoir. Ces pays sont donc rentrés dans un cycle de violences dont on ne voit pas la fin.


Le monde arabe est profondément divisé. Il l’est sur la Syrie bien sûr, puisque des pays aident l’opposition armée au régime sans toutefois être d’accord sur les partenaires à encourager. Il l’est à propos de l’Iran, vu comme une menace existentielle par certains qui craignent une éventuelle réintégration dans la communauté internationale. Téhéran est perçu par d’autres comme un partenaire potentiel ou du moins pas comme une source de préoccupations. Il l’est sur l’Egypte ou le Qatar. D’un côté l’Arabie saoudite et les Émirats de l’autre soutiennent des camps tout à fait opposés. Cela conduit d’ailleurs à une crise du Conseil de coopération du Golfe où la rupture s’est opérée entre des pays qui jusqu’ici avaient maintenu leur unité.


Il reste cependant un élément commun à tous les pays arabes, plus fort d’ailleurs dans les populations que chez les gouvernements, c’est le soutien à la cause palestinienne. On voulait faire croire que les révolutions arabes étaient la preuve de la non-centralité du conflit israélo-palestinien. Évidemment, dans chaque pays, les révolutions ou la lutte pour le pouvoir se font pour des questions internes, jamais pour autre chose, mais dans tous les pays arabes, dans les monarchies ou les républiques dans le Golfe, au Maghreb ou Machrek, la solidarité avec le peuple palestinien est la cause qui dépasse les frontières nationales et politiques.

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