Afghanistan: À l’heure du bilan, Karzaï avance ses pions pour «l’après»
Samedi 5 avril, les Afghans se rendent aux urnes pour élire un nouveau président. Cette élection, si elle se déroule sans heurts, marquera une étape essentielle dans la reconstruction du pays, envahi par les Américains aux lendemains des attentats du 11 Septembre. Pour la première fois dans l’histoire afghane, on assistera au transfert de pouvoir d’une manière pacifique, grâce à des élections et non pour cause de conflit. Hamid Karzaï, placé à la tête de l’Etat dès 2001 par le Pentagone, avait été reélu en 2004, puis en 2009 lors d’un scrutin entaché par une fraude électorale massive. La Constitution lui interdit de briguer trois mandats consécutifs. Quel bilan laisse derrière lui celui qui entend bien revenir dans cinq ans ? Eléments de réponse avec Karim Pakzad, chercheur spécialiste de l’Afghanistan à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (Iris).
La première raison est d’ordre personnelle. Tout au long du XIXème siècle, l’Afghanistan fut l’objet de multiples invasions britanniques – il y eut trois guerres. Les envahisseurs placaient à la tête du pouvoir « leurs » rois. Ces personnalités étaient haïes des Afghans.
Aussi, Karzaï ne souhaitait-il pas laisser de lui cette image de marionnette installée à la tête de l’Etat par les étrangers et soutenue jusqu’au bout par eux. Il a donc opté pour une position patriotique.
La deuxième raison est d’ordre politique. L’Afghanistan occupe une place importante dans la politique américaine. Karzaï le sait, et en joue. Quoi qu’il arrive, les Etats-Unis n’ont d’autres choix que de continuer à aider l’Afgnahistan. Karzaï cherche donc à obtenir un accord conforme à ses propres vues.
La troisième raison relève de la politique intérieure afghane. Karzaï ne peut se représenter au suffrage des électeurs car la Constition lui interdit de briguer trois mandats consécutifs. Mais il n’est pas quelqu’un qui abandonne ; il ne souhaite pas se retirer de la vie politique. Sait-on qu’il s’est fait construire une demeure au sein même du palais présidentiel pour pouvoir y résider après l’élection ? C’est un élémént qui ne trompe pas…
Karzaï a son propre candidat, « à travers » lequel il entend gouverner avant de se représenter aux prochaines présidentielles – il s’inspire là très clairement de la stratégie du chef du Kremlin Vladimir Poutine avec Dmitri Medvedev.
Reste que que pour se représenter, il aura besoin de soutien, notamment financier – pour l’achat de votes, par exemple…
Présenter « son » candidat permet donc à Karzaï de dire à Whashington : aidez-le, du moins ne cherchez pas à lui nuire, et en échange il signera l’accord bilatéral de sécurité.
L’intervention a coûté près de 700 milliards de dollars, et tué plus de deux mille soldats américains. Ce fut un échec total.
Fin 2013, les Etats-Unis ont menacé le gouvernement afghan de « l’option zéro »: si ce dernier ne signe pas l’accord, les Etats-Unis se désengageront totalement, et sur tous les plans, du pays.
Mais ils ont dû bien vite réviser leur position, en concédant qu’ils attendront les résultats des élections afghanes. Washington sait pertinnement qu’il ne peut quitter l’Afghnistan, car cela équivaudrait au retour des talibans et d’Al-Qaïda.
Les trois candidats favoris [l’opposant Abdullah Abdullah, Ashraf Ghani – qui a fait une partie de sa carrière à la Banque mondiale -, et Zalmai Rassoul, le protégé de Karzaï , ndlr] ont tous affirmé que leur objectif principal serait le rétablissement de relations de confiance avec la communauté internationale. Tous signeraient l’accord bilatéral avec les Etats-Unis.
Sans le soutien financier américain, le pays ne pourrait effectivement survivre plus de deux ou trois mois. Voici un exemple, pour vous montrer l’ampleur de la dépendance afghane: l’ensemble du budget étatique afghan est de quatre milliards de dollars ; Pour la seule armée, les Etats-Unis ont injecté près de six milliards… Comment voudriez-vous que les Afghans financent eux-mêmes leur armée, pour ne prendre que cet exemple ?
Pour justifier le fait que les talibans soient toujours bien présents dans le pays, mieux, qu’ils soient en capacité de frapper au coeur même de Kaboul, à quelques dizaines de mètres du Palais présidentiel, Karzaï a la réponse, toujours la même : c’est la faute du Pakistan.
Bien sûr, il est certain que les services secrets pakistanais soutiennent les talibans, mais affirmer qu’ils envoient expressement des militants se faire exploser à Kaboul, c’est trop.
Les relations pakistano-afghanes ne se sont donc pas arrangées sous Karzaï – celui-ci a même dernièrement conseillé aux Américains d’attaquer plutôt les bases terroristes au Pakistan !
Dans sa lutte contre les talibans, le président afghan a changé de stratégie il y a deux ans. Il essaie désormais de négocier avec eux. Il leur donne des gages – en restreignant certains droits acquis par la population, en s’entourant de proches de talibans. Karzaï ne parle d’ailleurs plus des talibans comme de « terroristes », pas même de « combattants », mais comme ses « frères mécontents ».
Cette nouvelle politique fait peur à une large partie de la population, qui reste anti-talibans, et qui craint que ces négociations ne se fassent au détriment de leurs droits et libertés.
Sur les 700 milliards de dollars que les Américains ont dépensés en Afghanistan, un tiers a été dépensé dans le cadre du projet de société civile.
Par ailleurs, les Etats-Unis disposaient dans le pays de 700 bases militaires, lesquelles avaient besoin de personnels, de cuisiniers, femmes de ménage, etc. Plus de 300 000 Afghans travaillaient ainsi pour les Américains.
Pour résumer la situation, on peut mettre en avant deux points de vue.
Celui des pro-Karzaï, qui soulignent qu’il y a aujourd’hui bien davantage d’hôpitaux, de routes, d’écoles et d’enfants qui vont à l’école, plus de libertés pour les femmes que sous le régime taliban. Et tout cela est vrai.
Celui des opposants de Karzaï, qui soutiennent que, au vu de ce que la communauté internationale – notamment bien sûr les Etats-Unis – a dépensé en Afghanistan, les progrès pourraient être meilleurs ; le pays a souffert d’une corruption généralisée et de fréquents détournements d’argent, certains impliquant des proches du Président. Tout cela est vrai également.
La Commission électorale indépendante a fait savoir que, sur les 6000 bureaux de vote, 742 resteront fermés en raison d’une trop grande insécurité. Mais, s’ils peuvent la perturber, les talibans ne devraient pas avoir les moyens de la faire annuler.
Le deuxième défi est effectivement la fraude. Si elle reste limitée, cette élection constituera un réel succès. Dans le cas en revanche de bourrages d’urnes massifs, il y a un risque très important de conflit.