« D’éventuelles sanctions économiques ne feront pas plier Moscou »
Arnaud Dubien est directeur de l’Observatoire franco-russe à Moscou et chercheur associé à l’Iris (Institut de relations internationales et stratégiques). Il fait le point sur la crise en Ukraine, au bord de la guerre civile, avant les pourparlers à quatre (Russie, Ukraine, Etats-Unis, Europe), jeudi 17 avril à Genève.
Il faut prendre Vladimir Poutine au mot. Il est pour la constitution d’une Ukraine fédérale, car il veut avoir la garantie que jamais elle n’intégrera l’Otan. La Russie veut absolument éviter le basculement irréversible du pays dans la zone d’influence de l’Occident. Vladimir Poutine voit le rapprochement de l’Ukraine vers l’Europe et les Etats-Unis comme une atteinte aux intérêts vitaux de la Russie. Et quand une puissance nucléaire considère que ses intérêts vitaux sont touchés, cela peut aller très loin. Je ne parle pas de risque de guerre nucléaire, mais d’un vrai risque de conflit.
L’Ukraine c’est tout à la fois pour la Russie: un enjeu géopolitique, un enjeu économique – c’est le cinquième partenaire commercial de la Russie -, un enjeu identitaire, un enjeu de mémoire collective… Ce n’est pas un pays comme les autres pour les Russes.
Je ne sais pas si cette réunion aura vraiment lieu, car le chef de la diplomatie russe a déclaré que tout ordre de Kiev "d’envoyer les chars" ferait capoter le dialogue… Or on observe ces dernières heures un assaut des forces ukrainiennes contre les activistes pro-russes à Slaviansk et Kramatorsk. Sinon, je ne pense pas que l’Union européenne prenne des sanctions économiques car certains pays, comme l’Italie, le Luxembourg ou la Grèce, n’en veulent pas. Et puis chacun sait que ces sanctions auraient un impact sur l’économie européenne.
Pas forcément. L’Allemagne a beau avoir 12 % de part de marché en Russie et la France 4 %, ce serait en fait Paris le plus affecté. Car pour la France, la Russie est un fort enjeu commercial: c’est son troisième marché, hors Europe, pour ses exportations. Et les trois quarts de ces échanges sont des biens de haute technologie, dans des domaines très sensibles comme l’industrie spatiale, l’aéronautique, la pharmacie. La plupart des grandes entreprises françaises présentes en Russie (37 sur les 40 cotées au CAC 40) seraient alors touchées. En cas de sanctions, la France ne pourrait probablement plus exporter de satellites vers Moscou, alors que l’Allemagne continuerait à vendre ses voitures.
Ces sanctions ne sont pas indolores, mais si leur but était de changer la politique de la Russie envers l’Ukraine, elles n’ont eu aucun effet.
A court terme, c’est impossible. L’Europe peut à la limite réduire la voilure de ses importations de gaz, mais elle ne peut pas les arrêter, car elle est liée par des contrats et la géographie. Ces menaces font partie d’une guerre de l’information que mènent les Etats-Unis et l’Europe, comme la Russie. Et de toute façon, d’éventuelles sanctions économiques, tout comme les effets récessifs dus à cette crise, ne feront pas plier Moscou. De 1991 à 1999, le pays a perdu 43 % de son PIB, et la Russie est toujours là. Le pays, qui prévoit au mieux une croissance de 1 % en 2014 et au pire une chute de son PIB de 1 %, ne succombera pas à deux ou trois années de récession. La Russie n’a pas de déficit budgétaire et sa dette publique n’atteint que 13 % du PIB, selon le FMI.
J’aimerais avoir la solution… A très court terme, il faut convaincre Kiev d’arrêter toute intervention militaire et maintenir les pourparlers de Genève.