ANALYSES

Afrique: les pays les plus développés sont aussi les moins sécurisés

Presse
17 avril 2014

Le Nigeria a été secoué cette semaine par un violent attentat dans une gare routière en banlieue d’Abuja. Une centaine d’écolières ont également été enlevées dans le Nord du pays, où les islamistes de Boko Haram sont particulièrement actifs. A l’instar du Kenya ou de l’Afrique du Sud, le Nigeria est à la fois l’une des économies les plus florissantes d’Afrique et un pays où violence et insécurité rythment la vie quotidienne. Analyse de ces sociétés à deux vitesses avec Philippe Hugon, directeur de recherches à l’IRIS en charge de l’Afrique.


Le Nigeria est aujourd’hui la proie d’un terrorisme violent. Le Kenya en a fait les frais aussi, l’Afrique du Sud n’est pas en reste… Pourquoi les pays les plus développés d’Afrique sont aussi les plus concernés par la violence ?



En Afrique du Sud, la violence est essentiellement liée à des facteurs urbains. Au Nigeria, Lagos est l’une des villes les moins sécurisées du monde, tout comme Nairobi. Le dénominateur commun à ces violences urbaines tient dans les profondes inégalités.


Par exemple, 45% de la population noire sud-africaine n’a pas d’emploi. La fin de l’apartheid n’a pas réduit ces inégalités, elle a seulement fait qu’une partie de la bourgeoisie noire a accédé à la richesse et a rejoint celle des blancs. Autrement, l’écart s’est creusé, avec un « indice de Gini » qui s’est accentué. L’économie est très prospère, son industrie… Ces inégalités génèrent une violence, à laquelle s’ajoute celle qui touche les chômeurs de la population noire post-apartheid, qui ne trouvent pas de petits emplois… Cette violence se bâtit aussi sur un terreau de trafics divers : Johannesburg et Lagos sont particulièrement touchés par le trafic de drogue.


Par ailleurs, le Kenya (avec le Shebab) et le Nigéria sont tous deux infiltrés par des réseaux terroristes d’islamistes radicaux. Boko Haram génère une violence spécifique sur le territoire nigérian, comme on a pu le voir ces jours-ci avec l’attentat meurtrier d’Abuja  et l’enlèvement d’une centaine de collégiennes.


Les trois pays que vous citez sont également en liens étroits avec les États-Unis…


L’insécurité patente, la violence et les risques qu’elles représentent ne découragent pas les investisseurs étrangers (le Kenya était le pays d’Afrique qui attirait le plus d’IDE en 2013). Comment l’expliquer ?



Les taux de retour sur investissement sont les plus importants en Afrique, et de loin. Il est donc normal d’y investir, dans une logique de rentabilité. En outre, les grandes sociétés qui y sont implantées mettent en place des systèmes de sécurité privée, des logements protégés pour leurs employés…


Les violences spécifiques contre le personnel d’une multinationale implantée au Kenya ou au Nigéria sont infimes. Le problème est qu’en dépit de cette probabilité très faible, la presse mondiale s’en empare dès que ce type de violences survient. C’est d’ailleurs la raison d’être de ces attaques : elles ont un potentiel de retombées médiatiques qui nourrit les organisations terroristes. Néanmoins, le danger est moindre que ne veulent le montrer les médias. Le Nigéria sait très bien gérer les prises d’otage : les entreprises vont immédiatement payer une rançon, puisque c’est même inscrit dans leurs contrats de travail.


A terme, la persistance des risques d’attentat ne risque-t-elle pas, tout de même, de nuire à l’économie de ces pays en précipitant une fuite des capitaux et des entreprises ?



C’est évidemment la stratégie des djihadistes, à savoir faire partir toute référence au monde occidental. Néanmoins, ils savent que ce type de guerre, aujourd’hui, se gagnent par la communication, la peur et l’impact médiatique plus que par les armes.


Maintenant, au-delà de cette volonté stratégique de la part des terroristes, le risque demeure faible. Un attentat est évidemment tragique parce que quand il arrive, des centaines de personnes meurent, mais ce type d’événement est rare et peu probable en termes de risque.


Le vrai risque est que les entreprises, sans remettre en cause leur implantation, prennent peur, se « bunkerisent », surprotègent leurs salariés et travaillent moins avec les acteurs locaux. Si le risque djihadiste est présent, il n’a pas de frontière : la France aussi abrite des cellules dormantes, qui se réveilleront un jour.

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