Algérie : l’élection-fiction de Bouteflika
Le président algérien sortant Abdelaziz Bouteflika a réussi le tour de force d’être réélu pour un quatrième mandat consécutif… et ce sans même faire campagne ! Derrière l’exploit, la mascarade. Même si le ministère de l’Intérieur a évoqué- non sans un certain cynisme- une campagne « normale », « ordinaire », qui se serait déroulée dans un « climat de transparence », celle-ci fut pour le moins surréaliste. Les images d’un président fantomatique, affaibli par un accident vasculaire cérébral, condamné au mutisme et absent de ses propres meetings électoraux, resteront dans les annales de la société du spectacle. Un précédent dans l’histoire de la communication politique comme seuls les régimes autarciques savent en produire… Le président Bouteflika circulant en fauteuil roulant et réélu « dans un fauteuil », avec près de 81,5% des voix- en recul malgré tout par rapport aux résultats de 2009 et 2004- selon les résultats officiels diffusés vendredi 18 avril. En attendant que ce « score Benaliste » soit confirmé par le Conseil constitutionnel, la séquence laisse les observateurs quelque peu dubitatifs sur l’avenir politique du pays.
Au-delà de la mascarade électorale, ce scrutin a eu le mérite d’affirmer l’émergence d’une figure centrale de la scène politique post-bouteflika. Arrivé deuxième avec seulement 12% des voix- selon Tayeb Belaïz, le ministre de l’Intérieur – Ali Benflis a incontestablement réussi sa campagne en incarnant notamment la principale force d’opposition au clan présidentiel. Même si l’essentiel ne réside pas dans les scores des candidats- les dés étaient pipés et l’élection était jouée d’avance- a adopté une posture de plus en plus radicale par rapport à un régime dont il est lui-même le produit : il fut à la fois l’ancien directeur de campagne de M. Bouteflika en 1999, son ancien premier ministre et l’ancien secrétaire général du Front de libération nationale (FLN). La rupture avec ce passé semble consommée au soir du scrutin présidentiel dont il ne reconnaît pas le résultat, dénonçant notamment l’« alliance entre la fraude, l’argent suspect et des médias vendus ».
A l’étranger, les réactions à la réélection du président algérien Abdelaziz Bouteflika se sont révélées être un exercice assez délicat. Entre le déficit démocratique- et donc de légitimité de l’élection- et la logique implacable de la realpolitik, la seconde s’est imposée dans les chancelleries occidentales comme dans le monde arabe. On a ainsi assisté à un concert de félicitations et/ou de vœux chaleureux en direction d’un régime qui représente à la fois le troisième fournisseur énergétique de l’Union européenne (l’Algérie est à l’origine d’un tiers du gaz consommé par les Européens) et un pôle de stabilité dans une région marquée par de fortes turbulences.
Or cette apparente stabilité et ce semblant de paix civile ne sauraient masquer une réalité plus sombre. Malgré la fin officielle de la guerre civile, le territoire algérien demeure le théâtre d’opérations terroristes perpétrées par des djihadistes encore actifs dans le sud sahélien (voir les tensions récurrentes aux frontières avec la Tunisie, le Mali et la Libye) et en Kabylie. En atteste la récente attaque meurtrière contre l’armée : quatorze militaires algériens sont tombés dans une embuscade dans la nuit de samedi à dimanche en Kabylie, région montagneuse et l’un des principaux repères d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI).
A cette tension sécuritaire s’ajoute une tension sociale nourrie par une corruption et un chômage structurels dont la principale victime est une jeunesse désespérée par l’incapacité de ses dirigeants à mettre les richesses nationales au service de son propre peuple (par le développement d’infrastructures et de services sociaux-sanitaires, mais aussi par la diversification d’une économie dépendante de la production et l’exportation des hydrocarbures). Un état de désespoir dont témoigne l’obsession toujours prégnante de l’émigration. De manière tout aussi symptomatique, le taux de participation à l’élection présidentielle a fortement baissé par rapport au précédent scrutin de 2009… Ce signe supplémentaire du « désarroi populaire » permettra-t-il aux dirigeants algériens de prendre conscience de leur responsabilité ? Malheureusement, le déni semble la règle chez des officiels qui se félicitent cyniquement de l’ouverture de ce nouvel Acte d’une pièce jouée dans ce théâtre d’ombres qu’est le régime algérien.