La sécheresse agricole, l’une des causes du drame syrien ?
La Syrie, berceau de l’agriculture, connaît actuellement une situation dramatique sur le plan agricole. Ceci est bien entendu lié à la guerre, mais aussi à une sécheresse endémique qui s’explique en grande partie par les effets du changement climatique dans la région.
Le conflit syrien, qui a débuté en mars 2011, a fait déjà plus de 150 000 victimes. Il est également connu pour ses horreurs : la violence extrême des combats, la torture, l’utilisation d’armes chimiques. Mais il existe une autre facette du drame syrien, celle de la délicate situation agricole et alimentaire du pays, qui a été notamment soulignée dans un rapport publié en avril 2014 par le Programme alimentaire mondial (PAM), une agence de l’ONU.
Jusqu’à une période récente, le secteur agricole constituait pourtant l’une des forces du pays. La Syrie était même le seul pays de la région à être autosuffisant sur le plan alimentaire et elle était aussi exportatrice de blé. Outre le blé, elle produisait aussi de l’orge, des betteraves à sucre, des fruits, des légumes et de l’huile d’olive. Avant la guerre, l’agriculture représentait ainsi 25 % du PIB syrien et employait 14 % de la population active du pays. Mais la Syrie et l’agriculture, c’est bien plus que cela puisque l’on estime qu’il y a quelques 12 000 ans, c’est là, dans ce qui était alors appelé le Croissant fertile, que des êtres humains auraient expérimenté pour la première fois l’agriculture et l’élevage.
Sans surprise, la production agricole syrienne s’est littéralement effondrée ces dernières années. Début 2013, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) indiquait ainsi que la production de blé et d’orge avait diminué de moitié en Syrie depuis mars 2011. En 2013, la récolte de blé aurait été la plus mauvaise depuis trois décennies. Selon le PAM, la production de blé pourrait s’élever à seulement un peu plus de un million de tonnes en 2014, alors qu’avant 2011, celle-ci s’établissait à environ 3,5 millions de tonnes et que les besoins du pays sont évalués à 5,1 millions de tonnes. La Syrie est par conséquent devenue importatrice de blé. Selon l’agence Reuters, elle aurait ainsi importé 550 000 tonnes de blé en 2012 et jusqu’à 2,4 millions de tonnes l’année dernière.
Cela a eu trois conséquences décisives qui ont sans aucun doute contribué à aggraver l’instabilité que connaît le pays. La première est un exode rural massif. Nous y reviendrons. La seconde est une augmentation souvent spectaculaire du prix des denrées alimentaires. Le prix du pain aurait été ainsi multiplié par trois depuis 2011. La troisième est bien entendu un accroissement de l’insécurité alimentaire et du nombre de personnes ayant besoin d’une aide alimentaire. Dans son étude de février 2014 sur la sécurité alimentaire mondiale, le PAM indiquait ainsi que 9,9 millions de personnes en Syrie, soit à peu près la moitié de la population actuelle, n’avait pas les moyens de se procurer suffisamment de nourriture, et 6,3 millions seraient particulièrement vulnérables. 4,2 millions de Syriens dépendent déjà de l’aide alimentaire fournie par le PAM. Ce chiffre pourrait s’élever à 6,5 millions selon l’agence onusienne avec les effets de la sécheresse sur les récoltes de 2014.
Cette situation est liée en grande partie à la désorganisation du secteur agricole en raison du conflit civil : insécurité physique pour les agriculteurs et indisponibilité de la main-d’œuvre, destruction de matériels agricoles, systèmes d’irrigation endommagés (canaux et pompes), augmentation du prix du carburant, coupures d’électricité fréquentes, bétail tué ou volé, impossibilité pour les vétérinaires de se déplacer pour soigner les animaux, prolifération des insectes et des parasites qui ne sont plus traités, etc. Mais le secteur a aussi très largement pâti de la sécheresse qui sévit dans le pays depuis plus d’une décennie.
Le pays connaît, en effet, une grave sécheresse depuis les années 2000. Ce fut tout particulièrement le cas en 2007-2008 où la Syrie a subi la sécheresse la plus grave depuis plus de quatre décennies. Celle-ci a eu des conséquences dramatiques pour le secteur agricole avant même le déclenchement des hostilités dans le pays en provoquant un effondrement de la production, a fortiori dans les zones non irriguées, la disparition d’une partie du cheptel et même une véritable désertification de terres qui étaient jusqu’alors agricoles. Ces effets de la sécheresse sur la production agricole ont aussi été aggravés par le manque d’entretien, compte tenu du conflit, des systèmes d’irrigation qui avaient été construits dans les années 1970 par les Soviétiques.
Selon un rapport des Nations unies publié en 2010, la population affectée par la sécheresse à la fin des années 2000 a vu ainsi en moyenne son revenu décroître de plus de 90 %. De nombreux agriculteurs n’ont pas eu de récoltes pendant deux années consécutives et des bergers ont perdu plus de 80 % de leurs troupeaux. Une très large majorité de la population touchée a également souffert de malnutrition. Au total, plus de 1,5 million de personnes auraient été ainsi contraintes de se déplacer du Nord-Est du pays vers les villes du Sud.
Or, cette période de sécheresse tend à se poursuivre puisque, selon le PAM, de septembre 2013 à mi-février 2014, les précipitations ont été plus de deux fois moindres par rapport à la moyenne. La situation pourrait même devenir dramatique dans les mois à venir suite à un hiver particulièrement sec au Proche-Orient et même le plus sec que l’on ait pu constater depuis le début des années 1970. Le PAM a d’ailleurs voulu lancer un cri d’alarme sur cette situation à travers le rapport qu’il a publié au mois d’avril puisque selon sa porte-parole, Elisabeth Byrs, « cette crise de sécheresse qui est en train d’arriver, notamment dans les gouvernorats du nord-ouest du pays – Alep, Idleb et Hama – pourrait mettre des millions de vies en péril » alors qu’« il n’y a plus qu’un mois de pluie, jusqu’à la mi-mai » avant la saison sèche.
Certains observateurs vont même jusqu’à considérer, sans doute à juste titre, que la sécheresse des années 2000 a largement contribué au déclenchement du conflit en Syrie. Ils ont notamment remarqué que les premiers lieux de soulèvements dans le pays se trouvaient dans les régions agricoles les plus économiquement touchées par la sécheresse alors que la façon dont le gouvernement a géré ses conséquences a suscité un vif mécontentement. La ville de Deraa, d’où est parti le soulèvement syrien en mars 2011, abriterait ainsi près de 200 000 migrants en provenance des campagnes après avoir subie cinq années de sécheresse et de pénurie d’eau sans obtenir beaucoup d’aide de la part du régime syrien.
Une étude publiée en 2010 par le Bureau des Nations unies pour la réduction du risque de catastrophes indique que la sécheresse constitue le plus grand fléau pour le monde arabe avec 38 millions le nombre de personnes qui l’ont subie entre 1970 et 2009. Or, la Syrie figure, au côté de la Jordanie, parmi les deux pays les plus concernés par la diminution des précipitations depuis un siècle.
On peut d’ailleurs observer ces dernières années une aggravation du phénomène. En effet, si la Syrie a connu six grandes périodes de sécheresse entre 1900 et 2005, celles-ci duraient généralement une seule saison. Ce n’est plus le cas dans la période récente où les sécheresses sont plus longues et plus intenses. Celle qui s’est produite à la fin des années 2000 a ainsi duré quatre saisons (2006-2010) et les précipitations durant cette période ont été bien moindres que durant les sécheresses précédentes. Les Nations unies estiment même que 150 000 hectares en Syrie ont connu huit années de sécheresse entre 2000 et 2010. Or, selon l’ONU, la plupart des régions vulnérables à la sécheresse en Syrie sont aussi d’importantes zones de production agricoles, à savoir les régions agricoles du Sud-Ouest et du Nord-Est du pays.
Selon certains experts, la fréquence et l’intensité de ces sécheresses sont la conséquence du changement climatique. Un rapport de 2011 publié par l’International Food Policy Research Institute (IFPRI) indique d’ailleurs que la Syrie et son secteur agricole sont très vulnérables aux conséquences du réchauffement climatique qui devrait principalement se traduire par une baisse du rendement des récoltes, alors même que la taille de la population syrienne devrait continuer à croître rapidement puisque l’INED estime que celle-ci devrait atteindre 37 millions d’habitants en 2050.
Au-delà, le secteur agricole syrien paie certainement aussi des années de mauvais choix opérés par les gouvernements syriens, notamment une mauvaise utilisation des ressources en eau. Ceux-ci ont privilégié, et largement subventionné, la production de coton, qui consomme énormément d’eau et qui a été considérée comme une production stratégique pour la Syrie sans tenir compte de la rareté des ressources en eau dans le pays, et encouragé le recours à des systèmes d’irrigation inefficaces qui consistaient à puiser l’eau dans les nappes phréatiques. Un rapport publié par la Banque mondiale en 2001 prévenait la Syrie à ce propos en expliquant que « le gouvernement devra reconnaître qu’atteindre une sécurité alimentaire à court terme en ce qui concerne le blé et les autres céréales tout en encourageant une production de coton qui exige beaucoup d’eau est à même de remettre en cause la sécurité de la Syrie sur le long terme en réduisant les ressources disponibles des nappes phréatiques ». Un article du New York Times publié le 13 octobre 2010 indiquait d’ailleurs que les ressources en eau avaient été réduites de moitié en Syrie entre 2002 et 2008, notamment en raison d’une sur-utilisation et d’un important gaspillage. Par ces mauvais choix, le pays s’est donc rendu particulièrement vulnérable aux effets de la sécheresse et du changement climatique.