Chine-Japon : attention à ne pas ouvrir la boîte de Pandore
Le président américain Barack Obama entame actuellement une tournée en Asie (Japon, Corée du Sud, Malaisie et Philippines) pour rassurer ses alliés face à la Chine. Le spécialiste de la région Jean-Vincent Brisset rappelle les frictions qui existent depuis plusieurs mois entre Pékin et Tokyo au sujet des îlots Senkaku, situés en mer de Chine orientale. Mettant face à face le développement de la marine nationale chinoise et la coopération entre la marine japonaise et l’US Navy, l’auteur souligne les risques de dérapage engendrés par cette situation.
Depuis quelques mois, les frictions entre Pékin et Tokyo au sujet des îlots Senkaku se traduisent à la fois par des discours souvent très fermes et des incursions navales et aériennes de la part des militaires chinois dans ce que les Japonais considèrent comme leurs eaux territoriales. A ce jour, il n’y a pas eu d’incident sérieux qui aurait pu dégénérer. On peut quand même se demander quelles sont les vraies intentions des protagonistes.
Sur le plan militaire, on constate que depuis une quinzaine d’années la marine chinoise, partie d’une assez petite flotte essentiellement côtière et équipée de matériels très dépassés, a fait d’énormes progrès. Autour d’un noyau de sous-marins et de destroyers russes, achetés à la fin du siècle dernier, la Chine, premier constructeur mondial de bâtiments de commerce, a rapidement bâti une très importante flotte composée de bâtiments construits localement mais incorporant de nombreuses technologies occidentales obtenues de manière plus ou moins détournées, motorisations et armements en particulier. La mise en service d’un premier porte-avions, base sur une vieille coque d’origine soviétique, a marqué un tournant. On a aussi assisté à un vrai essor opérationnel : escales dans des pays lointains, participation à la lutte contre la piraterie au large de la Somalie, évacuation de ressortissants chinois en Libye. Toutefois, la capacité opérationnelle globale de la marine chinoise demeure limitée, la culture et l’expérience nécessaires demeurant à acquérir. On note d’ailleurs que la création d’un commandement interarmées qui gèrerait la totalité des espaces maritimes jouxtant la Chine n’est encore qu’un projet qui semble controversé au sein même des autorités tant civiles que militaires du pays.
De son côté, le Japon vit depuis des années sous le couvercle d’une Constitution imposée par les vainqueurs de 1945, qui lui interdit de disposer de forces offensives et de dépenser pour elles plus de 1% de son PIB. Le premier ministre Abe a été élu parce que son discours, qui visait à remettre en cause ces blocages, correspond à une vraie aspiration d’une large partie de la population. Et si la marine japonaise est inférieure en volume à son homologue chinoise et n’a pas connu d’expérience opérationnelle depuis soixante-dix ans, elle demeure héritière d’une vraie culture et a toujours bénéficié d’un entraînement conjoint avec l’US Navy. Sur le plan diplomatique, on note que, depuis quelques mois, Tokyo a entrepris un rapprochement stratégique avec tous les pays concernés par les velléités chinoises. D’abord en direction des membres de l’Asean et, tout récemment, en direction de New Delhi.
II faut aussi se demander quelles sont les raisons qui poussent les dirigeants chinois à se lancer dans des revendications, tant en direction du Japon que vers la mer de Chine méridionale, alors que le pays a de bien plus graves problèmes internes à régler. Plutôt que de mettre l’accent sur l’insuffisance de la consommation intérieure, la fracture sociale ou la pollution, Xi Jinping privilégie la lutte contre la corruption et les antagonismes avec le Japon. On doit probablement y voir une manière de gouverner, pas spécifiquement chinoise, qui consiste à mettre en avant des sujets qui rassemblent l’opinion publique, faute de pouvoir apporter une réponse aux vraies questions.
La lutte contre la corruption permet, de plus, de faire disparaître les adversaires politiques. L’exacerbation des inimitiés contre l’ennemi séculaire japonais réveille le fond nationaliste chinois, de plus en plus vigoureux depuis que la fierté d’être chinois est revenue, grâce aux réussites économiques et au succès des Jeux de 2008 et de l’Exposition universelle de 2010. Et, vis-à-vis du monde occidental en particulier, la mise en avant des problèmes sino-japonais à l’avantage d’occulter la transformation – actuellement en cours – de la mer de Chine méridionale en mare nostrum chinois, alors que ce dernier problème est autrement plus grave.
Au-delà des discours, il n’y a sans doute pas, ni d’un côté ni de l’autre, de volonté d’en
découdre, sauf dans quelques franges très nationalistes. Les économies chinoise et japonaise auraient trop à perdre d’un conflit ouvert. Par contre, en raison en particulier du manque de maîtrise technique de la majorité des marins et des pilotes chinois, le risque d’une collision entre bateaux ou entre avions est permanent. On se souviendra de l’abordage d’un avion de reconnaissance électronique américain, dans l’espace aérien international, le 1er avril 2001. Si un tel incident devait se produire et causer des victimes chinoises et/ou japonaises, la tension pourrait monter assez vite. Cependant, si le nombre de victimes demeure limité, cela pourrait ne se traduire que par des manifestations et des boycotts. Les choses seraient autrement plus graves si les victimes étaient américaines.
II reste un risque de grande ampleur. L’économie chinoise est fragile. Si elle devait connaître de grosses difficultés, cela aggraverait fortement les fractures sociales, qui sont la hantise des dirigeants du pays. Ceux-ci pourraient alors être tentés, pour ressouder leur peuple derrière une cause nationale, d’ouvrir la boîte de Pandore et de lancer une aventure guerrière comme le firent les dirigeants argentins aux Malouines.