Forces étrangères au Nigeria : coopération ou concurrence ?
Entretien avec Philippe Hugon, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), en charge de l’Afrique. Un mois après l’enlèvement de plus de 200 lycéennes au Nigeria par la secte islamiste Boko Haram, les États-Unis ont déjà déployé sur place leurs forces spéciales. Le président nigérian Goodluck Jonathan avait en effet demandé l’aide internationale pour combattre le groupe islamiste qui sévit dans le pays depuis cinq ans. La France organise de son côté un sommet international samedi 15 mai afin de coordonner la lutte contre le terrorisme dans la région.
Le Nigeria est très sensible à sa souveraineté nationale. Il a une armée qui dispose de moyens très importants en termes d’équipements et d’hommes, mais en même temps, cette armée est particulièrement corrompue et relativement peu apte à lutter contre les terroristes. Elle n’est pas non plus très compétente en termes de services de renseignement ou de forces spéciales.
De ce point de vue-là, les Américains – de même que la Grande-Bretagne – jouent évidemment un rôle important par rapport au Nigeria en matière de formation des militaires. C’est un pays allié qui va montrer son efficacité mais, dans le cas présent, les relations de complémentarité qui vont apparaître pourraient en même temps être concurrentielles, puisque l’armée nigériane est très sourcilleuse de son indépendance.
Il devrait également y avoir des forces spéciales françaises, car la France vient de signer des accords de coopération avec le Nigeria.
La présence américaine en Afrique est relativement importante, notamment à travers l’unité de commandement américain pour l’ensemble de l’Afrique – AFRICOM –même s’il faut rappeler qu’il y a eu quelques difficultés. Aucun pays africain important n’a par exemple accepté d’accueillir le siège d’AFRICOM, qui est toujours situé à Stuttgart en Allemagne.
Les Américains sont aussi présents dans la zone sahélo-saharienne à travers différentes opérations de militaires en civils et d’infiltrations. Ils ne sont donc pas du tout indifférents dans la lutte contre le jihadisme, notamment dans l’axe sahélo-saharien.
Ceci étant, généralement, leur présence reste discrète compte tenu des questions de susceptibilité et de souveraineté nationale des différents pays concernés. Dans le cas présent, la demande d’appui officiel – donc visible – faite aux forces occidentales par le président nigérian Goodluck Jonathan est un événement important.
Là où la France est la moins compétente, c’est dans les services de renseignement aériens par drones ou satellites par exemple, domaine où les Américains sont plus performants.
Mais la France a d’autres atouts : d’abord, elle connaît globalement très bien ces régions et elle est beaucoup plus présente sur le terrain que ne le sont les Américains qui craignent toujours, après leur échec en Somalie, de perdre des hommes. La France prend beaucoup plus de risques par la présence physique de ses militaires, elle dispose de forces spéciales qui sont parmi les meilleures du monde, et elle est également performante en termes de renseignement ou d’infiltration des réseaux terroristes.
Même si on ne peut évidemment pas éradiquer le terrorisme par des simples actions militaires – le problème se situe beaucoup plus en amont et concerne davantage les inégalités de développement et les non perspectives des jeunes embrigadés –, on voit bien que la France, notamment par l’opération Serval au Mali, a réussi à éradiquer au moins un jihadisme extrémiste. Cela ne veut pas dire que la question du jihadisme et du terrorisme est réglée, évidemment, mais la France a montré son efficacité.
Cela se fait évidemment en coopération avec des forces nationales, donc avec les forces nigérianes dans le cas présent, qui interviendront en liaison avec des forces étrangères. Ces forces sont effectivement capables de réduire les capacités de nuisance de ce genre de groupes, et d’éviter qu’il y ait une trop grande aggravation de la situation.
Mais on sait bien que la lutte contre le terrorisme ne passe pas uniquement par des actions militaires. La principale question, c’est de supprimer le terreau du terrorisme. Or le terreau du terrorisme c’est d’abord l’exclusion d’une partie de la population et surtout des jeunes qui n’ont pas de perspectives. La lutte contre le terrorisme doit donc passer par la réduction des inégalités, de la corruption, et finalement de tout ce qui peut séduire ces jeunes sans perspectives prêts à se mobiliser pour des idéologies extrêmes.
Pour Boko Haram, le but de l’opération, c’était évidemment de montrer sa puissance et sa nuisance. En enlevant ces jeunes filles, il a été capable de mobiliser l’opinion publique mondiale et c’est ce qu’il attendait, puisque le chef de Boko Haram a été médiatisé partout.
On voit bien, par contre, que les revendications sont évolutives puisqu’au départ, il a dit que les jeunes filles allaient être vendues sur le marché au nom d’Allah, c’est-à-dire comme esclaves sexuelles dans la prostitution ou mariées de force et qu’elles allaient être converties à l’islam pour celles qui étaient chrétiennes. Selon les dernières revendications, Boko Haram demande maintenant l’échange des jeunes filles avec les prisonniers politiques du Nigeria.
Ce groupe est maintenant mondialement connu, les grands de ce monde se sont mobilisés et l’opinion publique aussi, et c’est ce qu’attendait Boko Haram pour avoir une ampleur mondiale. De son point de vue, il a donc réussi en exécutant ces actes ignobles.