Tiananmen, 25 ans après : le grand tabou
Entretien avec Jean-Vincent Brisset, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), spécialiste des questions de défense et de la Chine. Le «printemps de Pékin» se déroula entre le 15 avril 1989 et le 4 juin 1989. Les tanks de l’armée entrèrent alors sur la place Tiananmen pour mettre fin au soulèvement. Aujourd’hui encore, cet épisode reste un traumatisme politique dans l’Histoire chinoise. Et les revendications des manifestants ne sont toujours pas satisfaites.
Tout a commencé le 15 avril 1989, à la mort de l’ancien secrétaire général du Parti communiste chinois, Hu Yaobang, limogé en 1987. Des manifestations ont eu lieu dans tout le pays pour demander sa réhabilitation. La veille de ses funérailles nationales, organisées le 22 avril, des dizaines de milliers d’étudiants se sont rassemblés sur la place Tiananmen à Pékin. Le pouvoir a alors parlé de «troubles à l’ordre public» et interdit toute nouvelle manifestation.
Mais le mouvement s’est étendu et les manifestants ont décidé d’entamer une grève de la faim. Les protestataires dénonçaient en premier lieu la corruption du régime de Deng Xiaoping. Il faut souligner ici l’influence des médias occidentaux : ces derniers ont expliqué aux manifestants que la lutte contre la corruption n’était pas un thème vendeur. Pour avoir un impact international, ils leur ont suggéré de parler de démocratie et de libertés politiques et individuelles.
Le mouvement s’est assez rapidement délité. Le soir du 3 juin 1989, il restait seulement quelques milliers personnes (dont peu d’étudiants pékinois) sur la place. Celle-ci a été dégagée relativement pacifiquement dans la nuit du 3 au 4 juin par les soldats de la 15e division parachutiste de l’armée de l’air.
On dénombre deux à trois morts sur la place Tiananmen proprement dite. En revanche, il y a eu un certain nombre de victimes aux abords de la place. Si le nombre exact de morts et de blessés reste incertain, le chiffre de 3 000 morts avancé par certaines sources est faux. Le bilan se situerait en réalité entre 200 et 300 morts à Pékin, parfois plus dans d’autres villes de province.
Politiquement, ces événements ont conduit à une isolation de la Chine sur le plan international, au moment où Pékin se rapprochait de l’Occident. L’embargo sur les ventes d’armes à la Chine – toujours en vigueur, même s’il est largement contourné – reste une des principales conséquences de la répression du 4 juin.
Sur le plan interne, ces manifestations ont changé la perception que le gouvernement avait du maintien de l’ordre. Le pouvoir s’est rendu compte que la police armée était incompétente. Des militaires des forces classiques ont donc été transférés pour recréer une police armée beaucoup plus efficace.
C’est un sujet tabou, un traumatisme. Les Chinois se mettent en colère dès qu’on l’évoque. C’est quelque chose dont ils ne sont pas fiers et qui a considérablement nui à leur image de marque. Par ailleurs, comme dans presque tous les soulèvements populaires, ce mouvement n’était ni tout blanc ni tout noir. Certains «manifestants» en ont profité, il y a eu des exactions.
Le président chinois Xi Jinping joue la carte de la lutte contre la corruption, qui continue de gangrener le pays à tous les niveaux. Verser des pots-de-vin est une pratique communément admise, et qui exaspère de nombreux Chinois. Sur ce point, l’actuel chef d’Etat fait donc consensus, même si les revendications de 1989 ne sont pas satisfaites.
Ceux qui étaient étudiants en 1989 sont devenus, pour beaucoup d’entre eux, des cadres qui gagnent assez bien leur vie. Plusieurs leaders du mouvement ont quitté la Chine et se sont reconvertis dans le business. Les pratiques ont évolué. Le gouvernement leur fiche la paix : ils peuvent voyager, profiter de leur argent, avoir accès à Facebook (même si le réseau social est bloqué en Chine) etc. La majorité d’entre eux est désormais assez détachée des affaires politiques.