Chine / Vietnam: « La situation peut dégénérer à tout moment »
Entretien avec Jean-Vincent Brisset, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), spécialiste des questions de défense et de la Chine. Un navire chinois a «délibérément» percuté et coulé un bateau de pêche vietnamien, a annoncé, mardi 27 mai, le chef des garde-côtes du Vietnam. Ce nouvel incident s’est produit non loin de la zone où Pékin a installé une plate-forme pétrolière dans des eaux revendiquées par les deux pays.
Manifestement, Pékin a décidé de pousser la provocation jusqu’au bout. J’ai peur que l’étape suivante – l’ouverture éventuelle du feu sur un bateau ou l’éperonnage d’un navire – soit causée par un manque de contrôle, davantage que par une manœuvre planifiée. Il n’y a eu aucun mort cette fois-ci (les dix marins à bord ont été secourus par des bateaux de pêche vietnamiens naviguant à proximité, ndlr), mais la situation peut dégénérer à tout moment.
En outre, la puissance chinoise est évidemment supérieure à la puissance vietnamienne. Pour l’heure, ce conflit n’intéresse pas beaucoup le reste du monde. Les Chinois se sentent donc confortés dans leurs attaques.
Elle veut imposer sa supériorité et sa souveraineté en mer de Chine méridionale. Pékin est en train d’annexer plusieurs centaines de milliers de kilomètres carrés d’espace maritime. Ces territoires sont revendiqués par plusieurs pays, mais la Chine profite de sa force et du fait que la communauté internationale laisse faire.
Du reste, les Vietnamiens sont sûrs d’être dans leur droit, ce qui peut se comprendre. Ils agitent la menace d’une action juridique contre la Chine, mais ils ont du mal à comprendre qu’ils n’arriveront à rien sans médiatisation.
C’est un risque, en effet. Pour l’heure, la marine chinoise est la seule force militaire réellement opérationnelle du pays – même si elle laisse encore très largement à désirer. Pour améliorer sa force navale, Pékin a mis en place une vraie doctrine d’emploi avec des objectifs stratégiques très expansionnistes. Symbole de ses ambitions maritimes, la Chine a mis en service son premier porte-avions en septembre 2012.
En mer de Chine orientale, les tensions sont très vives avec le Japon au sujet des îles Senkaku. En mer de Chine du Sud, Pékin est principalement en conflit avec les Philippines et le Vietnam. Il faut savoir que ce dernier pays a été sous domination coloniale chinoise pendant 1000 ans. Il s’agit des trois pays qui ont le plus de raisons de s’inquiéter. Pour le moment, les velléités d’affrontements avec l’Inde ont été mises au placard.
Désormais, dans le cadre de leur stratégie de «pivotement», les Etats-Unis sont davantage présents en mer de Chine du Sud. Les Vietnamiens, les Philippins et les Indonésiens demandent d’ailleurs aux Américains d’exhorter les Chinois au calme. Les Etats-Unis pourraient réagir très fortement si un de leurs navires se faisaient éperonner.
C’est ce que souhaitent un certain nombre de pays de la région. Du reste, la Chine craint un front commun de la part de ses voisins car elle gère très mal les relations multilatérales. Les Chinois veulent donc empêcher toute coalition contre eux. Pékin a tout fait pour que les deux dernières réunions de l’Asean (Association des nations de l’Asie du Sud-Est) n’aboutissent pas à une déclaration commune en matière de sécurité.