La CIA débarque sur Twitter : une démarche qui n’a rien d’étonnant (bien au contraire)
Mais pourquoi la CIA vient-elle donc de créer un compte Twitter ainsi qu’une page Facebook, elle que l’on connaît pourtant plutôt pour sa discrétion ? Voici la question que beaucoup se posent aujourd’hui.
En fait, la CIA n’est pas exactement – ou pas uniquement – un service secret (même si elle ne nie pas mener des "opérations clandestines"), c’est une des 16 agences que les Américains nomment la "Communauté de l’intelligence" (comprenez la bureaucratie du renseignement).
Son rôle est aussi et surtout de collecter de l’information hors frontière et de l’analyser pour détecter tous les dangers qui menacent le pays (espionnage, terrorisme, prolifération…). Ceci inclut d’ailleurs des publications accessibles au public (des millions de pages par an). Le "CIA Worldwide Factbook" par exemple, que n’importe qui peut consulter.
La CIA a surtout besoin de recruter des gens capables de faire autre chose que de dissimuler la puissance de feu d’un porte-avion sous un costume noir ou de comploter contre des gouvernements de gauche.
Par ailleurs, elle est s’est montrée soucieuse de communication depuis longtemps, que ce soit en ouvrant certaines archives, en coopérant avec l’industrie audiovisuelle (aide à certains films) ou en entretenant un site internet plutôt moderne et attractif. On y trouve des communiqués de presse, de la documentation et même une page pour enfants avec des jeux, ainsi que des FAQ quant à une future carrière à l’agence, ceci dans le cadre d’un processus de recrutement commençant dès la "high School". L’agence a déjà une page Facebook (très récente), un compte Flick et un YouTube…
La CIA s’efforce d’améliorer son image de marque en se démarquant des stéréotypes "jamesbondesques" des années 60-70. Sa rhétorique "soft" insiste lourdement sur le fait qu’elle ne fait que surveiller le monde extérieur sans espionner ses propres citoyens.
Dans une optique très américaine de conquête "des cœurs et des esprits", il n’y a rien de surprenant à voir un service de renseignement se présenter comme éthiquement correct, n’exerçant qu’une fonction défensive, à la pointe technologiquement, moderne, attractif pour les jeunes talents, etc. Pour ne pas dire "cool". Et les communicants de la CIA ne voient pas de contradiction entre le fait de pratiquer le renseignement humain clandestin (délicat euphémisme) et celui de soigner leur "e-réputation" sur les réseaux sociaux. Surtout sous une administration démocrate très entichée de "diplomatie digitale", d’influence en ligne et de communication tous azimuts.
Au moment où j’écris, le compte de la CIA a émis trois tweets dont un qui se voudrait humoristique : un peu tôt pour juger. L’organisation a aussi expliqué qu’elle ouvrait ces plateformes dans un but éducatif – elles seraient l’occasion de transmettre des informations sur ses missions et son Histoire…
Cela dit, les 140 signes autorisés au maximum sur Twitter n’en font pas un outil idéal pour l’historiographie. En revanche pour "raconter son histoire" au sens de "storytelling" (envoyer un message idéologique global, présenter son interprétation de la réalité de façon séduisante et par des exemples) Twitter est un excellent attracteur d’attention.
Le contenu d’un tweet en soi ne convaincra personne, mais une politique systématique de tweets surtout contenant des liens vers des images ou des textes plus longs sert à diriger l’attention du public intéressé et des médias classiques. Cela engendre des citations et des discussions et, globalement, contribue à davantage attirer les moteurs de recherche et occuper plus de temps de cerveau humain que le message adverse ou critique.
Toutes les institutions qui ont des fonctions stratégiques, dont les armées, tendent à aller sur les réseaux sociaux pour une raison assez évidente : c’est le canal naturel pour s’adresser à un public jeune à séduire le plus en amont possible. Il peut vouloir poser des questions auxquelles ne répondraient pas forcément une communication ou des médias classiques.
Pour la petit histoire, même la NSA, surnommée "le plus grand rassemblement d’introvertis de la planète", a aussi ouvert un compte Twitter pour recruter.
À un second degré, ces institutions doivent se justifier en s’adressant directement au public sur un ton non officiel et non hiérarchique, plutôt que par la presse ou la télévision parfois considérées avec méfiance. Les thèmes sont : la légitimité politique de l’action internationale états-unienne et sa nature démocratique, le bon emploi des impôts des citoyens, la modernité des activités de renseignement, la transparence, les valeurs et la noblesse de la fonction, l’attractivité du métier pour les jeunes, etc. Ces messages peuvent être crédibilisés par des témoignages ou des dialogues voire soutenus par une communauté de sympathisants.
Pour aller un degré plus loin, les réseaux sociaux peuvent devenir des champs de bataille pour combattre des groupes terroriste ou activistes qui y sont très présents, ou simplement pour submerger sous des avis positifs des opinons défavorables à votre gouvernement ou à votre idéologie.
Quitte d’ailleurs à utiliser des algorithmes soit pour repérer les mouvements d’opinion significatifs, soit pour répandre certaines versions des faits (et attirer vers les "bons liens"), soit même pour simuler un mouvement d’opinion avec de faux abonnés qui soutiennent le point de vue souhaité. Ils argumentent, donnent des sources d’information mais ce sont en réalité des robots produits par un logiciel spécialisé. On voit comment on peut passer progressivement d’une "com" décontractée à de la franche propagande voire à la désinformation.