« Le FN reste perçu comme un parti sulfureux »
Même si le Parlement européen n’est qu’un « tremplin », l’échec de Marine Le Pen à constituer un groupe à Strasbourg n’est pas une bonne nouvelle pour elle. Explications de Magali Baient, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et à la Fondation Robert-Schuman, spécialiste des extrêmes-droites européennes.
Je ne dirais pas cela. Lorsque Marine Le Pen s’est retrouvée le 25 mai avec un nombre inédit de députés européens, on pouvait penser qu’elle y parviendrait. Mais entre cette période-là et aujourd’hui, il y a eu la sortie de Jean-Marie Le Pen sur la « fournée »…
Ça a été désastreux ! Au moins deux partis qui, potentiellement, pouvaient rejoindre le FN, les démocrates suédois et le parti lituanien Ordre et justice, qui étaient hésitants, ont finalement décidé de rejoindre le groupe du britannique Nigel Farage. Tous ces partis n’ont qu’une ambition : se dédouaner de ce passé sulfureux de l’extrême-droite, au cœur duquel il y a l’antisémitisme. La sortie antisémite de Jean-Marie Le Pen, c’est le pire qui pouvait arriver.
Mais aujourd’hui, le FN affirme que c’est lui qui n’a pas voulu aller avec certains partis « incompatibles avec ses valeurs »…
Le FN avait annoncé qu’il ne constituerait pas un groupe à tout prix, et qu’il était hors de question pour lui de s’allier avec les Hongrois du Jobik ou avec les Grecs d’Aube dorée. Ils pouvaient aussi faire un groupe avec le député polonais de l’Alliance KNP, qui est vraiment un parti révisionniste. Maintenant, il lui faut sortir dignement de cette affaire, et relativiser en disant que ce n’est pas si grave.
Sur le plan idéologique, il n’y a pas vraiment de différence entre eux. C’est un problème d’image : le FN vient de l’extrême droite, il a été fondé en 1972 par des nostalgiques de Vichy. Quand bien même Marine Le Pen travaille à la dédiabolisation, quand bien même le FN n’est plus idéologiquement le même, cette image reste et Jean-Marie Le Pen est toujours là. D’où la fin de non-recevoir de Nigel Farage, associé à Beppe Grillo, qui n’a rien à voir avec l’extrême-droite et qui a pu dire : c’est eux ou nous.
Ça ne va pas beaucoup changer, sauf qu’ils sont 23 et non plus 3. Il faut 376 élus pour faire une majorité, ils en sont loin. Ils n’assisteront pas à la conférence des présidents qui décide de l’ordre du jour, ils n’auront pas de temps de parole dans l’hémicycle dans les sessions plénières. Ils seront peut-être un peu moins absentéistes car leur crédibilité est en cause et ils ont une carte à jouer vis-à-vis de leur électorat. Le Parlement européen reste pour eux un tremplin, une scène où ils s’expriment à des fins nationales.
Je ne le crois pas. Autant Jean-Marie Le Pen s’est toujours conforté dans le luxe de l’opposition, autant sa fille est pragmatique et veut le pouvoir. Je ne serais d’ailleurs pas étonnée qu’elle continue de chercher à constituer un groupe en cours de législature.
Il y a un précédent : en janvier 2007, en milieu de législature, Bruno Gollnisch avait réussi à constituer un groupe, ITS (Identité, tradition, souveraineté), même si celui-ci n’a duré que dix mois : des députés roumains ont claqué la porte quand Alessandra Mussolini a comparé les délinquants roms à l’ensemble des Roumains. En 1984 et 1989, le FN avait aussi eu un groupe.
Ce n’est pas tant un problème d’influence que de symbolique. Ce groupe, c’était une question de crédibilité pour elle. Elle risque de rester perçue comme persona non grata, comme la présidente d’un parti sulfureux. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour elle.