Algérie-Allemagne : la revanche, avant d’affronter la France ?
Kader Abderrahim est spécialiste du Maghreb, maître de conférences à Sciences Po Paris et chercheur associé à l’Iris. Il revient sur l’enjeu du match Algérie-Allemagne de ce lundi soir et la perspective d’un match France-Algérie en quart de final.
Oui bien sûr, l’Algérie est une grande nation de football. Il y a plusieurs centaines de pratiquants et licenciés. Simplement, on n’a pas l’habitude de voir l’Algérie en si bonne position dans une compétition internationale parce que c’est un pays, comme à l’image du reste, dont le football et le sport en général n’est pas très bien géré.
Cela supposerait, si on veut que l’Algérie soit présente régulièrement dans les compétitions internationales, des moyens et une vraie politique sur 20 ans ou 25 ans. Il faudrait de la constance, une stabilité. Il faudrait former des cadres, des techniciens, avoir les moyens de détecter des garçons et des filles qui ont du talent à travers tout le pays. Il n’y a pas de raison que le football soit épargné en Algérie par la disette de la gestion et de l’administration. Voilà la raison pour laquelle on n’a pas l’habitude de voir l’Algérie dans une telle position. Position que l’on doit aujourd’hui beaucoup à l’entraîneur Vahid Halilhodzic. Il n’a cédé à aucune pression ou critiques dont il a été largement visé, notamment après le match contre la Belgique.
Le sport en Algérie est à l’image du reste : sous-administré et sans vision ou politique.
Un débat extrêmement violent se développe depuis plusieurs jours sur cet engouement. C’est un faux débat. On peut avoir un attachement affectif au pays de ses parents. Il faut faire attention : ce n’est pas leur pays d’origine. Le pays d’origine de ces jeunes qui fêtent les victoires de l’Algérie, c’est la France. Ils sont nés en France. Ils ont été éduqués en France et ne connaissent pas d’autres pays car une grande partie d’entre eux n’est jamais allé en Algérie. La question est plutôt, d’où vient l’échec de leur intégration ?
Ces jeunes gens qui vivent dans des conditions assez mauvaises et sont souvent stigmatisés sont confrontés aujourd’hui, pour une fois, à une image positive de l’Algérie et ont envie de la partager avec leurs parents et leur famille qui vit en Algérie. Ce n’est rien de plus et surtout pas une double allégeance comme on l’entend. Ces enfants sont nés ici, resteront ici et feront de bons petits Français pour peu qu’on leur tende la main et pas qu’on leur tourne le dos.
Or, malheureusement de plus en plus les débats sont posés par l’extrême droite et sont repris par la presse qui pose des questions dramatiques. Je voyais ce matin Yves Thréard, du "Figaro", interpeller le recteur de la mosquée de Paris sur la question de la binationalité… comme s’il avait une compétence sur le sujet ! Je suis abasourdi par ces débats déplacés. Et puis ce sont des problèmes sociaux qui font irruption dans le sport.
Mais on ne peut pas faire porter aux sportifs de haut niveau des débats qu’on n’a pas été capable de trancher dans la société, que nos politiques n’ont pas été capables de régler. On mélange tout. C’est à la fois inquiétant et dangereux. Je ne suis pas naïf, je vois bien les violences. Elles sont inacceptables. Ce n’est pas parce que l’Algérie se qualifie qu’on brûle des voitures. Malheureusement, des voitures brûlées, il y en a toute l’année. Il est inutile de stigmatiser les Algériens en particulier.
Beaucoup posent le match dans ces termes. Certains, notamment l’ancien milieu offensif Lakhdar Belloumi, parlent même de vengeance. Des mots un peu excessifs, une guerre des nerfs habituelle à ce niveau là. Mais les jeunes qui vont rentrer sur le terrain ce soir ne doivent pas porter sur leurs épaules le poids de l’Histoire. L’Algérie a déjà rempli la mission qui lui avait été assignée par son sélectionneur : gagner un match. Après l’arrivée en huitième de final, tout le reste est du bonus et provoque une liesse collective très importante dans un pays qui a été meurtri pendant dix ans et a besoin de représentations positives. Les Algériens ont besoin de se rassembler autour d’un message simple, positif, et le sport participe de ce message de rassemblement parce qu’il est universel. Or les Algériens n’ont pas pu construire cette universalité chez eux, entre eux, donc ils ont besoin de l’exalter à travers le football. Le football est, souvent, pour beaucoup de nations, l’exacerbation des contradictions de nos sociétés modernes.
Sportivement, déjà, je le souhaite, cela voudrait dire que les deux équipes ont gagné. Et d’un point de vue purement sociologique et historique, ces rencontres ne sont pas neutres. On peut les comparer aux compétitions entre les Etats-Unis et l’Union soviétique durant la guerre froide. Il y avait alors une exacerbation de la supériorité supposée de l’un ou l’autre et une rencontre comme France-Algérie que tout le monde souhaite d’un point de vue sportif ferait remonter un certain nombre de blessures pas totalement refermées même si sur le papier, sportivement, on voit bien que la France est bien supérieure, l’une des favorites de cette compétition.
Le dernier France-Algérie s’était terminé dans des circonstances un peu terribles avec l’envahissement du terrain et un psychodrame national. A l’époque, il y avait Zidane. Aujourd’hui, il y a Benzema qui proclame un attachement au pays de ses parents. Cette question ne sera jamais réglée, c’est une réalité de l’Histoire. Mais il ne faut pas substituer l’Histoire à la compétition sportive. Ce serait très malsain pour les joueurs qui n’ont pas à assumer cette Histoire dont ils ne sont pas responsables, même si en tant que citoyen chacun en est partiellement dépositaire.