Irak : Russie et États-Unis veulent un gouvernement d’union nationale
Entretien avec Karim Pakzad, chercheur associé à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris), spécialiste de l’Irak.
C’est d’abord pour des raisons techniques et pratiques. L’Irak avait acheté des armements auprès des États-Unis à hauteur de 16 milliards de dollars en 2013, dont cinq ou six F-16, qui n’ont jamais été livrés parce qu’il y a des blocages du Congrès américain pour livrer des armes lourdes à l’Irak.
Or l’Irak avait décidé, avant même la montée en puissance des jihadistes de l’État islamique (EI), d’acheter des armements auprès de la Russie et de la Biélorussie. Le contrat d’achat d’armes russes était donc déjà signé avec l’Irak. Évidemment, cette livraison s’est faite très rapidement, en urgence, à cause de la situation actuelle en Irak, et alors même que les Américains, tout en apportant leur soutien à l’Irak, « traînent des pieds », posent des conditions etc.
La Russie, qui est actuellement dans une situation assez tendue avec l’Occident dans son ensemble, et avec les États-Unis en particulier, notamment au sujet de l’Ukraine et de la Syrie, revient donc dans le jeu mondial, ou au moins régional. Elle a profité de cette situation pour revenir en Irak où, dans le passé, elle était la puissance dominante sur le plan militaire.
La relation entre les États-Unis et la Russie dans un pays donné est toujours commandée par la situation de ce pays. Ce n’est pas uniquement leur relation bilatérale qui détermine leur attitude à l’encontre de ces pays. En Syrie, ces deux pays se trouvent dans des camps opposés, en Irak ils se trouvent dans le même camp.
On perçoit néanmoins sur le terrain irakien la rivalité entre les deux pays. On sent que la Russie essaie de profiter des hésitations des Américains et, d’une manière générale, de la tendance américaine à vouloir se retirer de la région. Livrer quelques avions à l’Irak n’est pas compliqué pour la Russie, mais cela lui permet d’avoir un pied dans la région.
La question est en effet de savoir si Nouri al-Maliki, dont le parti est arrivé en tête des élections législatives au mois d’avril, est capable de former un tel gouvernement. Je pense que non : d’abord parce que les Kurdes ont annoncé que si le Premier ministre est reconduit, ils organiseront un référendum d’indépendance.
Ensuite, même certains alliés chiites de Maliki sont opposés à sa reconduction. La plus haute autorité chiite, l’ayatollah Ali al-Sistani, récemment revenu sur le devant de la scène politique, s’est d’ailleurs exprimé en ce sens. Sans dire que Maliki doit partir, il a en effet appelé à la formation un gouvernement d’union nationale, qui doit corriger les erreurs du passé, ce qui désavoue d’une certaine manière le Premier ministre. Nouri al-Maliki va très probablement résister pour revendiquer sa victoire aux législatives et mettre en avant le danger que représenter l’État islamique.
Mais l’ensemble des forces chiites, kurdes et sunnites ont pris conscience qu’il faudrait un gouvernement d’union nationale, afin d’inclure davantage les sunnites et essayer de couper l’herbe sous les pieds de l’État islamique, pour attirer les tribus sunnites qui ont apporté leur soutien à cette organisation terroriste.
Reste à savoir comment mettre en place un tel gouvernement, comment les sièges seront redistribués, et si le Premier ministre va encore cumuler le poste de Premier ministre avec celui de ministre de la Défense.