« Débattons librement du conflit israélo-palestinien »
Alors que les bombardements se poursuivent à Gaza, beaucoup s’inquiètent de l’importation du conflit israélo-palestinien dans notre pays. Face aux risques de violences intercommunautaires et face à la radicalisation des discours, comment faire entendre des voix plus modérées ? Directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), Pascal Boniface vient de publier La France malade du conflit israélo-palestinien (1). Il répond à nos questions.
Il s’agit d’un travail de longue haleine qui doit nous permettre de quitter le registre des émotions pour entrer dans celui de la réflexion, avec le plus de distance possible. Le conflit israélo-palestinien va encore durer longtemps, car la paix n’est pas pour demain. L’enjeu pour notre société n’est donc pas d’éviter l’importation – car le conflit est déjà importé -, mais d’éviter l’importation violente du conflit chez nous. Et l’on voit que, dans un premier temps, ce sont les voix les plus radicales qui portent, parce qu’il y a un déchaînement des passions, parce que les médias retiennent davantage ce qui est excessif que ce qui est mesuré, et qu’il y a une sorte de cercle vicieux qui s’instaure. On commence à entendre des voix plus calmes, mais il est certain que la façon dont les premiers propos ont été tenus montre une crispation très forte par rapport à ce conflit.
Il ne faudrait pas réduire le soutien à Israël aux seuls juifs français. Il y a des Français qui ne sont pas juifs et qui soutiennent Israël. On le voit bien chez les journalistes et dans la classe politique. Leurs motivations peuvent être diverses d’ailleurs, certaines nobles, d’autres moins. Il y a chez certains un fort sentiment de culpabilité par rapport à la Shoah, il y a chez d’autres un sentiment de solidarité civilisationnelle, chez d’autres encore une décision de choisir Israël par rapport aux pays arabes. Il y aussi, pour une poignée d’entre eux, une hostilité générale au monde arabe qu’ils reportent sur ce conflit. Parallèlement, il serait faux et inexact de ramener le soutien à la cause palestinienne aux Français d’origine arabe ou de confession musulmane. C’est évidemment bien plus large.
Cette ligne me semble étrange venant d’une instance qui multiplie depuis des années les appels à une solidarité inconditionnelle envers Israël. Certes, c’est le droit du Crif d’appeler à la solidarité avec Israël. Ce qui est problématique, c’est quand cette institution fait la chasse à ceux qui critiquent le gouvernement israélien et qu’elle veut exclure du débat ceux qui n’ont pas sa position, en les assimilant trop rapidement à des antisémites.
Certainement pas, mais il est quand même nettement moins présent, moins puissant qu’il y a quelques décennies. Ce qui paraît curieux, c’est que le Crif récuse, dans cette lutte contre l’antisémitisme, ceux qui critiquent le gouvernement israélien. C’est une erreur de n’accepter que ceux qui soutiennent totalement Israël et de refuser ceux qui seraient prêts à combattre l’antisémitisme tout en critiquant les choix politiques de cet Etat. Ce faisant, le Crif montre que sa priorité est bien plus la protection et la défense du gouvernement israélien que la lutte contre l’antisémitisme. Parmi les gens qui ont manifesté contre les bombardements des populations civiles, il y a certainement des gens qui sont antisémites, mais c’est une infime minorité. L’amalgame entre ces personnes et l’immense majorité des manifestants n’a pas lieu d’être.
Bien sûr ! Il y a de nombreux Israéliens, très patriotes, qui ne se privent pas de critiquer la politique israélienne. Parmi eux, on peut citer des personnalités telles qu’Avraham Burg ou Daniel Ben-Simon, qui, dans le Journal du dimanche du 20 juillet disait que pour lutter contre le terrorisme, il fallait non pas bombarder Gaza, mais contribuer à son développement économique. Dans l’autre camp, le terme de « sioniste » vient trop souvent remplacer celui de «juif». Et ce mot est trop souvent assimilé à « partisan de l’occupation » et « partisan de la répression », alors que l’on peut tout à fait être sioniste et critique à l’égard du gouvernement d’Israël. Moi-même, je suis partisan de la solution des deux Etats, donc pour l’existence de l’Etat d’Israël. Encore une fois, on peut être pour l’existence d’Israël et contre la politique menée. De la même manière que l’on pouvait être contre la politique de l’ancien président américain Georges Bush, sans être anti-Américain. Les Français qui s’opposaient à la Guerre d’Algérie n’étaient pas de mauvais Français. Ils avaient juste une autre vision de l’intérêt national. Finalement, il y a plusieurs niveaux de confusion : une assimilation perverse entre la simple critique politique d’un gouvernement avec l’antisionisme (opposition de principe à l’Etat d’Israël) et avec l’antisémitisme (la haine des juifs). Il faut lutter contre tous ces amalgames.
Vous avez dans le camp pro-palestinien, des gens qui rejettent en bloc Israël et les juifs. Il y a des radicaux qui parlent des « sionistes », pour critiquer globalement Israël, sans distinguer les Israéliens partisans d’une solution juste et durable et ceux, qui au contraire, soutiennent l’occupation et les bombardements. Mais la différence, c’est que ce sont des marginaux qui ne sont pas à la tête des associations. Ce sont des gens qui, souvent, sont même à la limite de la délinquance et qui, loin de servir la cause palestinienne, se serve de cette cause pour exprimer leurs frustrations. Il n’y a pas de symétrie dans la radicalisation des positions. D’ailleurs, on voit bien que les responsables d’associations comme France Palestine solidarité, condamnent les excès, les violences et les insultes antisémites. Alors que, malheureusement, parmi les partisans d’Israël, il n’y a pas une condamnation identique des extrémistes pro-israéliens.
C’est une bel exemple d’intoxication médiatique. Quand j’entends Habib Meyer, député des Français de l’étranger, indiquer qu’il y avait eu ce jour-là des dizaines de milliers de personnes scandant « Morts aux juifs », cela veut dire qu’il y a eu plus de gens pour reprendre ce slogan que de manifestants, puisque ces derniers n’étaient que quelques milliers. Ces propos excessifs ont contribué à jeter de l’huile sur le feu et à décrédibiliser la lutte contre l’antisémitisme. Ce type de mensonge ne peut qu’alimenter la théorie du complot. Il faut bien distinguer ce qui s’est passé lors des trois manifestations, le 13 juillet rue de la Roquette, le 19 juillet à Barbès et le 20 juillet à Sarcelles. Rue de la Roquette, cela a été une construction pour faire peur aux gens, pour peser sur le débat et pour dire que les pro-palestiniens étaient tous d’affreux antisémites. Le montage a fonctionné puisque l’interdiction des manifestations suivantes s’est appuyée sur cet événement. Pourtant, le rabbin de la rue de la Roquette a lui-même expliqué qu’il n’y avait eu aucun incident devant la synagogue et aucune tentative d’intrusion. A Barbès, il y a eu des violences anti-policières, comme à chaque fois qu’il y a des manifestations interdites. Par contre, il ne faut pas nier qu’à Sarcelles, il y a eu une agression antisémite qu’il faut vigoureusement dénoncer. Là aussi, il est important d’éviter les amalgames et de ne pas déformer les faits.
Je ne connais aucune association de solidarité avec la Palestine qui accepte la présence de gens qui ont tenu des propos antisémites comme l’essayiste Alain Soral ou l’humoriste Dieudonné, ou qui cautionnent leur présence. L’association France Palestine Solidarité a d’ailleurs toujours clairement condamné leurs propos. Malheureusement, de l’autre côté, on a le sentiment que le Crif reste silencieux, voire refuse de condamner les excès de comportement de la Ligue de défense juive. Il y a là une asymétrie de situation qui est dommageable. Attention aux deux poids, deux mesures.
Très franchement, non. Dans un premier temps, suite à sa conversation téléphonique avec Netanyahou, François Hollande s’est contenté de reconnaître dans un communiqué le droit à la légitime défense d’Israël, sans un mot pour les victimes civiles des bombardements. Un rectificatif est arrivé, plus tard, trop tard. Ensuite, l’interdiction de la manifestation du 19 juillet dans la capitale a suscité de nombreuses frustrations. Il faut savoir que Paris a été la seule ville dans le monde où une manifestation de solidarité avec les Palestiniens a été interdite. De quoi échauffer les esprits. Enfin, il y a eu ce vote le 23 juillet à la Commission des droits de l’homme à l’ONU où la France, comme les autres pays européens, s’est abstenue sur la mise en place d’une commission d’enquête sur les bombardements des populations civiles à Gaza. Cette abstention est un geste en faveur d’Israël qui montre une nette inflexion de la politique française. Comment l’expliquer ? Je ne sais pas. François Hollande dans sa campagne semblait beaucoup plus proche des positions palestiniennes que son prédécesseur à l’Elysée. Et, finalement, il tient des propos très favorables à Israël que Nicolas Sarkozy n’aurait sans doute lui-même pas tenu.
Il faut d’abord que l’on permette un débat libre et ouvert et que l’on arrêt l’auto-censure et la censure sur ce conflit. L’accusation d’antisémitisme est tellement infamante que beaucoup de gens n’osent plus s’exprimer clairement, de peur d’être accusé d’antisémitisme. Et si on ne plus parler ouvertement, on va malheureusement renforcer la théorie du complot. Pour éviter que des gens comme Dieudonné ou Alain Soral aient du crédit, il faut pouvoir parler et réfléchir librement. Il faut également cesser de faire des amalgames pesants, et nuisibles à terme, entre critiques du gouvernement israélien et antisémitisme. Si je critique Poutine pour ce qu’il fait en Ukraine, je ne suis pas automatiquement anti-Russe. Il serait temps que l’on suive ce même raisonnement pour le conflit israélo-palestinien. Pourquoi tous ceux qui se disent favorables à la solution des deux Etats, les uns plus proches d’Israel, les autres des Palestiniens, ne décident-ils pas de se réunir pour mettre l’ensemble des problèmes sur la table ? Pour en débattre librement et dans un esprit constructif.