OTAN : des nouvelles bases en Europe de l’Est ?
Philippe Migault : Tout d’abord, l’Ukraine n’est pas membre de l’OTAN, qui n’a aucun devoir de solidarité avec ce pays. Je ne pense donc pas un seul instant qu’il puisse y avoir une intervention de l’OTAN dans le cadre de la crise ukrainienne. Nous sommes davantage en présence d’un autre scénario, qui n’est pas beaucoup plus gai. C’est la volonté d’une partie des membres de l’OTAN de ressusciter une alliance moribonde, en durcissant le ton vis-à-vis de la Russie, ce qui est susceptible de réinstaller un climat de guerre froide factice en Europe orientale.
Philippe Migault : On ne peut pas exclure que, devant l’opposition d’un grand nombre de pays membres, il n’y ait pas de déploiement de forces dans les pays baltes ou en Pologne. Mais il y a tout de même une volonté forte de renforcer l’OTAN en Europe de l’Est et dans toute la région de la Baltique. Je rappelle que la Suède et la Finlande se sont déclarées prêtes en cas de crise grave, c’est-à-dire sans doute avec la Russie, à coopérer avec l’OTAN. Pour ces pays, États-Unis, Royaume-Uni, Pologne, pays Baltes, états nordiques, l’idée est d’amener le dispositif militaire de l’OTAN et de ses alliés suédois et finlandais au contact direct de la frontière russe, de manière permanente dans les pays baltes et en Pologne et sur la frontière finlandaise en contexte de crise. Je pense d’ailleurs que cette volonté n’a jamais cessé d’être un objectif stratégique majeur de l’Alliance depuis la disparition de l’Union Soviétique.
Philippe Migault : A mon avis ce n’est justifié ni de la part de la Pologne, ni des pays baltes ou de la part de quelque membre de l’OTAN que ce soit. Parce que l’OTAN, qui aime à se définir comme l’alliance militaire la plus efficace de tous les temps, a un article dans sa charte, l’article 5, qui spécifie très clairement qu’en cas d’agression d’un État membre de l’OTAN tous les autres sont tenus d’intervenir et de le soutenir. Concrètement, si un pays s’en prend à un membre aussi minuscule que l’Estonie, il aura contre lui toute l’alliance, même les pays habituellement les plus réticents à s’engager, parce que les États membres de l’OTAN ne sauraient en aucun cas tolérer la moindre agression sur le territoire de l’Alliance sans que celle-ci ne se dissolve. Il semble donc totalement ridicule de croire que la Russie pourrait se lancer dans une aventure militaire contre l’OTAN, ce qu’elle n’a pas tenté à l’époque de l’URSS, lorsqu’elle était une superpuissance militaire, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.
Philippe Migault : Quand les forces de l’OTAN ont multiplié les manœuvres dans les pays baltes, les troupes du commandement occidental russe en ont fait de même dans la région de la Baltique. Donc les Russes ne se laissent pas intimider et répondent systématiquement. L’installation de bases permanentes de l’OTAN à l’Est ne reviendrait donc qu’à les provoquer et si l’on voulait déclencher une nouvelle guerre froide on ne s’y prendrait pas autrement.
Philippe Migault : Ce sera d’abord de persuader les Européens réticents face à cette expansion de l’OTAN en Europe de l’Est, ce qui est loin d’être gagné. Le second enjeu ce sera de convaincre les Européens, qui ne cessent de baisser leurs budgets militaires depuis des années, de réarmer. Car les Américains, à juste titre, considèrent qu’eux seuls jouent leur rôle, militaire et financier, au sein de l’OTAN et que les autres n’assurent pas leur défense. Or ils ne veulent plus assumer seuls les dépenses nécessaires pour le maintien d’une alliance opérationnelle. Là aussi cela risque d’être compliqué dans la mesure où l’Union européenne est au bord de la déflation et qu’il n’existe aucune menace militaire sur le fond en dehors du terrorisme, ce dont tout le monde est conscient.
Le troisième dossier, c’est le bouclier antimissile américain qui doit être déployé en Pologne et en Roumanie. Il est clair qu’il n’est pas destiné à protéger de l’Iran, comme il a toujours été affirmé, mais qu’il vise directement la Russie, non pour des raisons d’ordre militaire (ce type de dispositif ne peut pas intercepter une salve de missiles intercontinentaux et ne sera sans doute pas en situation de le faire avant très longtemps) mais politiques, en pérennisant la présence américaine en Europe orientale. Si l’OTAN adoptait sur ce dossier un ton plus offensif, cela serait perçu comme une provocation par la Russie.