ANALYSES

Comment l’Etat islamique reproduit la stratégie gagnante des envahisseurs sanglants à la Attila

Presse
13 septembre 2014
Bien qu’elle soit professionnelle, maîtrisée et organisée, la stratégie de l’Etat islamique a bien des aspects primitifs. Dans quelle mesure pourrait-on dire que sa stratégie n’est pas nouvelle ? Quels peuples guerriers qui ont marqué l’Histoire ont utilisé bien avant eux cette stratégie ?



Jean-Vincent Brisset : Il est peut-être encore difficile de parler de "stratégie" au sujet de l’état islamique, dont l’apparition est relativement récente. Le terme même "Etat Islamique" est à relativiser : il s’agit bien davantage d’une "Légion Islamique". Si le but de ce mouvement -la constitution d’un Etat appliquant les règles d’un Islam fondamentaliste- est clairement affiché, les stratégies mises en œuvre ne semblent encore pas relever d’un corpus doctrinal. Les frontières du futur état ne sont pas non plus définies.


Et il n’existe pas de "chef" incontournable de cet Etat, ni même de gouvernance visible. On est donc réduit à constater et à tenter de comprendre.


L’essentiel de l’action militaire est basé sur des actions ultra rapides, sous forme de colonnes très mobiles concentrant leurs actions sur des points précis. Une fois l’objectif saisi, les populations sont soumises avec une très grande brutalité et forcées à faire allégeance. Les éventuels récalcitrants qui n’ont pas la possibilité de fuir sont massacrés, en public si possible pour servir d’exemple.


Cette manière de faire se retrouve, à un moment ou un autre de leur histoire, chez la plupart des peuples à dominante "éleveurs nomades" des régions désertiques ou steppiques, de l’Atlantique à la Mongolie. On y retrouve les grandes cavalcades, devenues motorisées et l’absence de peur de la mort, chez les guerriers. En face d’eux, des peuples à soumettre (généralement des paysans sédentaires) qui se protègent derrière des fortifications. Comme constantes, la cruauté, gratuite ou calculée, et le pillage. 


L’une des stratégies utilisée par l’Etat islamique consiste à réinvestir les richesses accumulées au cours de leurs épopées pour agrandir leur territoire dans l’expertise de personnes à même d’améliorer leur stratégie et dans les nouvelles technologies leur donnant les moyens de mettre en œuvre cette stratégie. Les Huns et les Mongols n’utilisaient-ils déjà pas cette stratégie entre le 4ème siècle après JC et le Moyen-Âge ?




Tamerlan, fondateur d’un Empire turco-mongol dont la corne Nord-Ouest recouvre assez précisément l’empreinte actuelle de ce que voudrait être l’Etat Islamique, massacrait l’ensemble des populations vaincues, à l’exception des artisans capables de travailler à l’édification de sa capitale idéale, Samarcande, où il rapatriait aussi le butin ramassé. L’Etat islamique semble avoir repris cette "tradition", en l’adaptant. Les richesses récupérées au cours des raids semblent être largement réinvesties, aussi bien dans l’achat d’armements conventionnels disponibles "sur étagère" que dans le développement de nouvelles armes, y compris armes de destruction massive.


Au-delà de la gestion des richesses accumulées, se pose la question de l’organisation politique. AU modèle de la capitale, riche et brillante, entourée d’étendues peuplées de serfs, s’oppose celle de la création d’un vrai Etat, doté d’une organisation ramifiée.    

  


Par ailleurs, de par son aspect impromptu et inopiné, la proclamation de l’Etat islamique a surpris la communauté internationale..


Cela n’est pas sans rappeler les invasions barbares comme celles menées par les Huns ou les Mongols vers 375 après JC qui a surpris l’Empire romain d’Occident, empire stable et très technique dans sa stratégie. Peut-on parler d’une tactique similaire ?



L’Empire romain d’Occident a pu être surpris par les invasions barbares parce qu’il avait "vieilli" et qu’il s’était renfermé sur ses certitudes. Et aussi parce que, décennie après décennie, il connaissait un déclin économique et politique, miné par un manque de cohérence intérieure. La communauté internationale d’aujourd’hui semble être dans une problématique qui est à la fois différente et semblable. Les pays Occidentaux, rejoints par les grands émergents, ont érigé un système de valeurs et de fonctionnement qu’ils estiment universels. D’où une incapacité à comprendre que l’on puisse fonctionner autrement. Dans les premiers siècle de notre ère, les moyens de renseignement étaient limités, et le "Prince" ne bénéficiait pas de beaucoup de remontées d’informations. Ce ne devrait plus être le cas dans l’Occident du XXI° siècle. Il semble pourtant que, si le recueil du renseignement et son analyse première ont énormément progressé, l’autisme des dirigeants et le poids des lobbies qui les entourent font que l’on est seulement passé d’une époque où la lumière était très faible à une époque où l’on ne la regarde pas (ou ne veut pas la regarder).   


L’utilisation de prisonniers et l’utilisation abusive de la violence de l’Etat islamique est également une caractéristique qui leur est propre. Cette trivialité se retrouve-t-elle également chez les peuples nomades des steppes ?



Les peuples guerriers issus des traditions nomades/désertiques secrètent des combattants qui ne craignent pas leur propre mort, parce qu’elle ne peut leur arriver que dans une période de grande exaltation et qu’elle leur ouvrira les portes d’un "Paradis". Par ailleurs, leur mode de vie austère mais quasi mystique, leur amour des grands espaces et leur capacité à endurer la souffrance les pousse à mépriser encore davantage leurs adversaires, qu’ils imaginent confortablement installés dans une vie sans idéal. Tuer un être inférieur n’est pas un problème, on ne sort pas de l’entre soi. Et c’est une excellent moyen de répandre la terreur, donc de vaincre encore et d’accumuler encore plus de richesses.  


La culture du réseau semble tout autant faire partie de la stratégie de l’Etat islamique. Comment se caractérise-t-elle ? Et chez les peuples nomades des steppes et du désert ? L’absence de peur de mourir au nom de son clan en fait-elle partie ?



L’Etat islamique semble développer de pair une culture du réseau et une culture de la communication. Quand on en revient à ce qui a été dit plus haut, la culture du réseau découle naturellement de fonctionnements sociologiques, qui sont réellement claniques. L’utilisation de la communication ressemble aussi, avec des moyens différents, à ce qui était fait par les nomades combattants des siècles passés. On ne se contente pas de tuer, on le fait avec cruauté et, surtout, on le fait savoir, de manière à propager la terreur et, partant, la soumission avant même le combat. Mais, avant l’arrivée toute récente de la civilisation des communications, la rumeur terrifiante était longue à se propager et n’avait pas les couleurs du réel. Par ailleurs, elle ne touchait pas directement le Prince. Aujourd’hui, le monde entier peut voir en direct la tête de l’otage se détacher. Et le peuple, qui sait que le Prince a lui aussi vu le spectacle, lui demande des comptes.     


 

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