La guerre d’Irak légitimée a posteriori par le Quai d’Orsay ?
L’ambassadeur de France en Irak, Boris Boillon, a livré une interview particulièrement intéressante dans Le Figaro daté du 31 août 2010. Il déclare : « Il faut absolument, quand on parle de l’Irak, raisonner sans idéologie. » En effet, cela vaut pour l’Irak comme pour tout sujet stratégique. Mais on peut se demander si justement ce n’est pas l’idéologie, plus précisément néo-conservatrice, qui anime la réflexion de notre ambassadeur. Pour lui, « l’Irak est le vrai laboratoire de la démocratie dans le monde arabe, c’est là que se joue l’avenir de la démocratie dans la région. Potentiellement, l’Irak peut devenir un modèle politique pour ses voisins et qu’on le veuille ou non, tout cela a été obtenu grâce à l’intervention américaine de 2003. »
Faut-il conclure de ces déclarations qu’au final, l’intervention américaine en Irak a été bénéfique ? Selon l’ambassadeur, « Les Irakiens disent que l’intervention alliée (rappelons que la France, comme d’autres pays de l’OTAN, n’y a pas participé et l’a même condamnée, et que le terme d’alliée pour qualifier la coalition était une terminologie américaine et non française) de 2003 leur a coûté très cher en vies humaines et en destruction d’infrastructures, mais ils rappellent aussi qu’elle a libéré le pays. Le bilan est donc à la fois positif et négatif ». Il parle même du caractère exemplaire des élections qui pourtant, n’a pas frappé d’autres observateurs.
Pendant très longtemps, un certain discours faisait valoir que le Quai d’Orsay était peuplé de diplomates pro-arabes, anti-israéliens, et que l’antiaméricanisme y régnait. Curieusement, alors que les néo-conservateurs sont en récession aux États-Unis, notamment après l’élection de Barack Obama, ils semblent bénéficier d’une nouvelle vigueur en France dans le milieu intellectuel, mais également au Quai d’Orsay, où ils ont fait depuis quelques années une percée remarquable, avec une nouvelle génération de diplomates.
L’ambassadeur estime donc que le bilan de la guerre en Irak est globalement positif.
Bien sûr, un jour l’Irak sera un pays démocratique, pacifié, stabilisé. Mais la guerre de 2003 en aura-t-elle été le véritable facteur ? Cet objectif n’aurait-il pas pu être atteint par d’autres moyens ? La chute d’une dictature peut-elle justifier une guerre, et en est-elle le principal mode opératoire ? Dans ce cas d’ailleurs, pourquoi hésiter à lancer d’autres guerre contre d’autres dictatures toutes aussi féroces, et qui restent bien en place ?
Il est d’ailleurs contradictoire de dire que cette guerre a été un succès et que le départ des soldats américains, par ailleurs très partiel (il en reste 50 000, sans parler des gardes de sécurité privés), prive Al-Qaïda de son principal argument, l’occupation étrangère. Comment ne pas voir que cette guerre d’Irak a accru l’instabilité régionale, contribué au développement du terrorisme, renforcé l’Iran dans la région et les radicaux en Iran, creuse le fossé entre monde musulman et occidental ? Certes, depuis quelques temps Al-Qaïda est en récession, et les effets négatifs de la guerre s’estompent. Mais pas parce qu’elle a réussi, mais parce qu’Obama en a pris le contre-pied.
L’ambassadeur de France est bien sûr dans son rôle lorsqu’il essaie de rassurer les investisseurs sur la situation en Irak, pour que la France soit impliquée dans sa reconstruction. Faut-il pour autant approuver ex post une guerre dont justement la condamnation a été un moment d’immense popularité pour notre pays ?
Alors que les États-Unis veulent tourner la page sur l’Irak, il n’est certainement pas nécessaire d’adopter une position du style « on vous l’avait bien dit que c’était une erreur tragique de vous lancer dans une guerre illégale ». Mais est-il pertinent de donner un satisfecit à une action considérée très largement dans le monde entier, comme l’une des pires erreurs stratégiques et morales qu’a pu commettre George Bush, et dont le refus et la condamnation courageuse par la France a été pour elle une source importante de prestige et de popularité dans le monde ?