L'édito de Pascal Boniface

Les défenses anti-missiles sans effets sur la menace iranienne.

Édito
22 novembre 2010
Le point de vue de Pascal Boniface
Le sommet de l’OTAN s’est achevé par un accord sur la mise en place d’une défense antimissile en Europe. C’est un grand succès pour l’organisation, puisque la France, longtemps réticente à ce projet, le soutient désormais et que la Russie, qui était farouchement hostile, ne s’y oppose plus.

Si les textes officiels ne désignent pas officiellement la menace potentielle, le président Nicolas Sarkozy, indiquant appeler un chat un chat, a cité nommément l’Iran.
Dans un style qui lui est propre, il a énoncé une vérité contre laquelle il est difficile de s’opposer en déclarant : « Si l’Iran tire un missile sur l’Europe, il est certainement souhaitable qu’on puisse intercepter ». Ce point ne souffre aucune contradiction. Pour autant le déploiement d’un système antimissile répond-il à une nécessité stratégique globale de l’alliance ? Est-il compatible avec la stratégie française ? Répond-il à la menace iranienne ?
Pour ce qui est de la France, il y a une nette inflexion de la position. Jusqu’ici la stratégie française consistait à dire que la dissuasion, donc la menace de représailles était plus efficace que la mise en place d’un système d’interception et de protection. Dire que les deux ne sont pas incompatibles est une semi vérité. En effet, il y a dans la mise en place de ce système, l’acceptation de l’idée que la dissuasion ne donne pas une garantie totale contre la menace de missiles d’un autre pays. Nicolas Sarkozy opère une nouvelle inflexion par rapport à l’héritage gaullo mitterrandisme. Il privilégie une bonne relation avec Washington. Il a sans doute également entendu les industriels qui plaident depuis longtemps pour ce système afin de pouvoir bénéficier des retombées.

La menace balistique et nucléaire iranienne justifie-t-elle un système de missiles antimissiles ? Mais il y a là aussi une inflexion. Jusqu’ici on disait qu’un Iran nucléaire était inacceptable. Aujourd’hui, on admet implicitement que c’est envisageable. Pour les partisans du projet antimissile, si pour l’heure l’Iran n’a pas les capacités de frapper l’Europe, il pourrait les obtenir à l’avenir et le but de ce déploiement est justement de contrer une menace pour l’heure inexistante mais dont la réalité est plus que probable dans un futur proche.

Mais c’est confondre l’antipathie que peut susciter le régime iranien avec la menace qu’il peut faire peser sur nos territoires.
Que l’Iran soit un élément déstabilisateur du système international et que le régime actuel, contrairement d’ailleurs à la nation iranienne, soit anti occidental et menaçant pour ses voisins, sont une évidence.
Mais la menace qu’il peut faire peser sur les territoires européens réside plus d’une éventuelle implication dans des actions terroristes. Le système de défense antimissile n’apporte aucune solution à cette menace. Que se passerait-il s’il était doté de capacités balistiques permettant d’atteindre le territoire européen. ? Évidemment il vaudrait mieux l’arrêter, pour reprendre l’affirmation de Nicolas Sarkozy. Sauf qu’il n’y a absolument aucun risque à ce que l’Iran effectue ce geste. Non pas que le régime des mollahs veuille épargner nos populations, mais simplement la punition serait trop forte. La dissuasion fonctionne. Un seul missile iranien sur l’Europe et les pays occidentaux seraient habilités, y compris d’un point de vue juridique, à riposter de la façon la plus sévère sur le territoire iranien.

On va bien sûr dire que la dissuasion joue pour des régimes rationnels et non dans le cas de celui, imprévisible, des mollahs. C’est confondre valeurs et rationalité. Les mollahs ne partagent certainement pas les valeurs du monde occidental, ils ne sont pas irrationnels pour autant. Leur but et ils le prouvent depuis longtemps, notamment depuis les élections de juin 2009, est de se maintenir au pouvoir. En déclarant la guerre aux pays occidentaux ils ont peu de chance de le faire.

Présenter l’Iran comme une menace d’un point de vue militaire étatique n’a pas de sens. Le budget militaire iranien est inférieur à 10 milliards de dollars. Une goutte d’eau par rapport aux budgets des pays de l’OTAN (grosso modo 1 000 milliards). La menace iranienne existe, elle peut être asymétrique (terrorisme) elle n’est pas d’ordre étatique (frappes militaires).

Si ce système de défense antimissile est inutile, il est un peu compromettant pour la stratégie de dissuasion française, et il sera coûteux. On peut se demander s’il s’agit bien d’une priorité.
On peut cependant se féliciter de la levée de l’opposition russe. La décision de l’OTAN ne va pas se traduire par une nouvelle crispation avec Moscou. Dire que les Russes ont adhéré au programme semble néanmoins prématuré. Ils ont simplement émis un accord pour faire une évaluation commune des menaces et le président Medvedev a bien précisé que la participation russe devra se faire sur un pied d’égalité avec les Américains. Il n’est pas certain que cela ne suscite pas à terme des réticences à Washington. Moscou a voulu montrer sa bonne volonté au moment où le traité de désarmement nucléaire n’est toujours pas ratifié par le Sénat américain. Si la non ratification devait se confirmer, Moscou pourrait changer de position.
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