La colère de l’ambassadeur et la libre expression des Think Tanks.
L’ambassadeur de France en Irak, Boris Boillon était récemment à Paris pour convaincre les entreprises françaises de revenir en Irak.
On a trop longtemps déploré à tort ou à raison que les ambassadeurs ne s’occupent pas assez des aspects économiques de leur mission, pour ne pas se féliciter de voir un diplomate se montrer particulièrement actif sur ce terrain, dans un pays dont l’intérêt stratégique n’est plus à démontrer.
Petite fausse note cependant : alors qu’un responsable de l’Iris venait se présenter à lui, il perdit tout flegme diplomatique et se mit à crier « l’Iris ! C’est Boniface !! Il a écrit un article inadmissible sur son blog du Nouvel Observateur sur moi. Il s’est attaqué à moi alors que je ne lui ai rien fait. Il ne peut pas s’en prendre ainsi aux diplomates. »
Le responsable de l’Iris, remarquait que s’il avait un désaccord avec moi il était plus simple de me téléphoner ou de m’envoyer un mail ou une lettre ou même d’en parler directement. Cela ne calma pas sa colère, bien au contraire, et plus fort encore il conclut « C’est un idéologue vous lui direz que son papier c’est de la merde. »
Sans doute la mission particulièrement difficile que remplit Boris Boillon à Bagdad peut expliquer un tel degré de nervosité. J’ai eu connaissance de cet épisode à mon retour d’une conférence organisée à Madrid par la fondation Ramon Aceres, justement sur le rôle des Think tanks. Au-delà de l’altercation, qui à défaut d’avoir été directe fut vive, cette réaction peut susciter une intéressante réflexion sur la place des Think tanks en France
Que sous-entend la réaction de l’ambassadeur ? Passons sur la personnalisation excessive qu’il fait de l’Iris qui réunit une trentaine de collaborateurs qui ont leur propre opinion.
Boris Boillon fait allusion à l’article publié le 1er septembre 2009 sur ce blog. J’analysais une interview qu’il avait donnée la veille au Figaro où il déclarait « l’Irak peut devenir un modèle politique pour ses voisins et, qu’on le veuille ou non, cela s’est obtenu grâce à l’intervention américaine en 2003. » Je m’étonnais qu’un ambassadeur de France vienne implicitement justifier la guerre d’Irak de 2003 contre laquelle la France s’était opposée courageusement, bénéficiant ainsi d’un fort courant de sympathie et de respect dans le monde entier. Certes, il serait inconvenant d’attaquer un diplomate qui ne serait pas en mesure de répliquer dans les médias, mais ici en donnant une interview au Figaro l’ambassadeur participe au débat public et donc s’expose à d’éventuels commentaires.
Mais cela correspond en fait à une tendance lourde et ancienne qu’il y a chez certains responsables politiques, membres de cabinets ministériels (Boris Boillon a été en poste à l’Élysée) ou responsables de l’administration. Ils considèrent les centres de recherche comme ayant pour seule fonction de défendre et d’illustrer la politique gouvernementale, de reprendre les positions officielles pour les exposer au public. Pour eux, les Think tanks ne peuvent être que des courroies de transmission de la politique gouvernementale en direction de l’opinion publique. Émettre une réserve ou pire encore une critique revient à sortir de son rôle et doit être sanctionné.
Les chercheurs ont-ils le droit de discuter librement des différentes décisions gouvernementales ou de faire une évaluation éventuellement critique d’une déclaration publique d’un responsable ? Perd-on son statut de chercheur pour devenir idéologue dès que l’on émet une réserve sur une interview d’un officiel ? Notre pays n’a rien à gagner à ne voir qu’une seule tête, entendre une seule voix dans le monde intellectuel. Est-il saint à long terme que des chercheurs fassent avant tout attention à être « dans la ligne » et adaptent leurs commentaires aux positions officielles ?
C’est un travers bien français que de traiter ainsi les Think tanks. Dans d’autres démocraties occidentales, leur libre expression n’est pas considérée comme gênante ou problématique, et leur diplomatie n’en est pas moins efficace.
Il peut paraître curieux de prôner la démocratie au Proche-Orient mais de ne pas admettre que la libre critique s’exerce à Paris.