L'édito de Pascal Boniface

Pierre PEAN, à contre-courant sur l’Afrique.

Édito
27 décembre 2010
Le point de vue de Pascal Boniface

On se rappelle que suite à son livre Noires fureurs, blancs menteurs, Rwanda 1990-1994, Pierre Péan avait été traîné en justice, de façon difficilement compréhensible, pour complicité de provocation à la haine raciale par SOS-Racisme. Il a gagné ses deux procès tant en première instance qu’en appel. Il avait été profondément meurtri par ces accusations aux antipodes de son parcours et de ses convictions. Fort heureusement, loin de l’avoir abattu, ce mauvais procès lui a donné l’énergie pour poursuivre son travail d’investigation. Cela donne un livre fort : Carnages, (Fayard) un gros pavé de 570 pages qui vient apporter un éclairage tout à fait nouveau sur la tragédie que subit, dans une relative indifférence, la République Démocratique du Congo, les différents crimes contre l’humanité et guerres civiles dont les populations africaines sont les victimes et le jeu des grandes puissances. Son livre fera date et sera très utile pour les historiens et tous ceux qui voudront écrire de façon dépassionnée sur les événements gravissimes qui se sont déroulés dans cette partie du monde. Le silence relatif qui accompagne son livre laisse dubitatif.

Pierre Péan reprend et développe la thèse qu’il avait commencé à développer dans son premier livre. Paul Kagamé, l’homme célébré dans le monde occidental comme ayant mis fin au génocide du Rwanda, a commis par la suite de nombreux crimes contre l’humanité. Sans que l’on puisse déterminer de façon certaine s’il a lui-même organisé l’attentat contre l’avion du président Habyarimana, il savait qu’il ne pouvait parvenir au pouvoir que par un conflit armé, qu’il préparait de longue date et non pas par la voie démocratique. Il a par la suite étendu la guerre à la République Démocratique du Congo, se livrant de nouveaux à de nombreuses exactions pour pouvoir tirer profit des multiples richesses de ce pays. Les accusations de complicité de génocide portées contre la France, qui ne sont ni fondées et sans le moindre début de preuve, participent à une stratégie visant à réduire l’influence de la France en Afrique et à tétaniser son action. Pour Péan « la Françafrique est le faux nez dissimulant les menées de divers intérêts surtout anglosaxons. » (p41) Il estime que si la politique africaine de la France doit susciter examen critique, elle ne mérite pas d’être critiquée en bloc alors que le silence demeure sur la politique dans le continent des autres grandes puissances (USA, Royaume-Uni, Israël, Chine, etc).

La partie la plus novatrice du livre de Pierre Péan concerne la politique israélienne en Afrique en général, et plus particulièrement les liens établis entre Paul Kagamé et Israël.
Il développe également de longs passages sur le Soudan. Selon lui, les accusations de génocide portées contre ce pays ou les appels à la solidarité pour la cause du Darfour, sont en fait une stratégie menée par Israël et les États-Unis pour affaiblir un État africain et musulman qui pourrait faire contrepoids à leur propre influence dans le continent africain. Il démontre que pour Israël, le Soudan fait partie d’une certaine vision de sa profondeur stratégique. Si le passage qui consacra ce pays à l’encontre de la présentation très négative qui en est souvent faite, est convaincant d’un point de vue stratégique, il ne faut pas oublier néanmoins que le président du Soudan a été inculpé de crimes de guerre par la cour pénale internationale.
À l’automne 2010, le secrétaire général de l’ONU publiait un rapport sur les exactions de l’armée de Kagamé en RDC. Il évolue à 4 millions le nombre de morts de ce conflit.

Jusqu’ici quelques voix éparses s’étaient élevées contre Kagamé. S’il s’agissait de Français, on les accusait de vouloir dissimuler la responsabilité de Paris dans le génocide. Il était plus problématique de faire ce reproche à la justice espagnole qui lance les mêmes accusations, à Carla Del Ponte, Emma Bonino ou Boutros Boutros Ghali, qui ont depuis longtemps souligné la responsabilité de Kagamé. Il devient plus difficile aujourd’hui pour Kagamé d’évoquer le génocide de 1994 pour masquer sa responsabilité dans la suite des évènements.
On peut reprocher à Péan d’être parfois trop systématique, sa démonstration est néanmoins impressionnante et ne peut être balayée d’un revers de main.
 


 

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