L'édito de Pascal Boniface

De Tunis à Téhéran

Édito
24 janvier 2011
Le point de vue de Pascal Boniface

Les étudiants nous obligent souvent à pousser plus loin la réflexion. L’un d’entre eux m’a demandé pourquoi la révolution, qui a réussi en Tunisie, a échoué en Iran. La révolte de la jeunesse iranienne, après les élections truquées de juin 2009, n’a pas débouché sur le renversement du régime, contrairement à ce qui s’est passé en Tunisie.

Dans les deux cas, on a affaire à une jeunesse formée, qui s’oppose à un pouvoir répressif qu’elle rejette, mais dont la censure ne suffit pas à la couper de l’information, grâce aux technologies de l’information. Les Iraniens, filles ou garçons, sont branchés sur Internet, savent ce qui se passe à l’étranger et ne prennent pas pour argent comptant la propagande de leur régime. Comment expliquer que la répression ait été suffisante pour mater, fût-ce provisoirement, la contestation des Iraniens, alors que le régime Ben Ali a été emporté ? Plusieurs pistes de réflexion.

L’armée a lâché Ben Ali, alors que les forces de sécurité iraniennes n’ont pas abandonné Ahmadinejad. Même s’il est contesté ou rejeté par une grande partie de la population, ce dernier conserve encore une légitimité chez une partie d’entre-elle, tandis qu’il semble que le rejet de Ben Ali ait été quasi-unanime. Sans doute cela s’explique-t-il par le fait que les dirigeants iraniens entretiennent un sentiment de menace extérieure qui leur permet de ressouder une partie de la population autour d’eux.

Les Tunisiens étaient beaucoup plus libres, lorsque le pouvoir a dénoncé un complot de l’étranger dans la révolte contre Ben Ali Cela n’a eu aucune crédibilité. Si cette hypothèse est vraie, cela veut dire que la politique de la main tendue de Barack Obama serait plus dangereuse pour le régime iranien que celle de la confrontation. Cela doit conduire à une réflexion plus fine que la politique en forme de slogans simplistes entretenus à l’égard de l’Iran. Oui le programme nucléaire iranien est une source de préoccupation stratégique majeure. On ne peut pas le passer par pertes et profits. En même temps les menaces extérieures, et notamment de confrontation militaire offrant une marge de manœuvre importante sur le plan intérieur au régime des mollahs. Un régime qui peut jouer sur le registre patriotique regagne une partie de la légitimité que son action lui a fait perdre auprès de sa population. Ceci dit l’exemple tunisien dépasse largement le cadre du monde arabe. Ce qui s’est passé en Tunisie a été suivi avec attention et intérêt par la population iranienne qui peut en tirer une nouvelle source de mobilisation.

On note également la différence d’attitude de nombreux responsables politiques et intellectuels, promptes à soutenir la contestation iranienne, mais qui ont été bien silencieux face à la mobilisation tunisienne. Dans les deux cas pourtant la population faisait entendre ses aspirations démocratiques. On ne peut donc en conclure que le soutien à ces dernières est indexé par les perceptions géopolitiques.
 


 

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