Oui à l’intervention tant qu’elle reste onusienne
Les opérations militaires contre Kadhafi, lancées largement à l’initiative de la France ont commencé.
Comme à chaque fois, dans ces instants dramatiques et dramatisés, la bataille de la communication est aussi vive que les combats militaires. Comment s’y retrouver entre propagande, désinformation et information, entre ferveur patriotique d’un côté et scepticisme par rapport à tout ce qui est officiel de l’autre ?
Peut-on justifier l’intervention militaire en Libye alors que rien n’est fait à Bahreïn ou au Yémen ? Oui ! Le colonel Kadhafi et plusieurs de ses fils avaient ouvertement promis un bain de sang contre leurs opposants. S’il y a également une répression armée au Bahreïn et au Yémen, elle n’atteint pas la même ampleur. Les dirigeants de ces pays n’ont pas commis l’erreur de se vanter de vouloir commettre un massacre.
Kadhafi représente par ailleurs, depuis longtemps, une figure emblématique du bad guy. Il a l’une des plus mauvaises images possibles dans les opinions occidentales. Ses foucades et ses diatribes l’on également isolé dans le monde arabe. Enfin, des opérations aériennes contre la Libye ne représentent pas un objectif militaire difficile.
Certains reprocheront à Nicolas Sarkozy d’avoir des arrière-pensées, de vouloir faire oublier l’accueil chaleureux réservé à Kadhafi et le retard à l’allumage par rapport aux événements tunisiens et égyptiens, tout en essayant de retrouver, par un succès diplomatique, une popularité auprès de l’opinion française. Celle-ci ne peut qu’être sensible au fait de voir la France jouer un rôle pilote dans une opération contre un dirigeant quasi unanimement rejeté. La vraie question est de savoir si l’intervention actuelle est bénéfique pour la France, pour les Libyens et pour l’avenir des peuples dans la région. Le maintien de Kadhafi n’est pas bénéfique à la Libye. Le tournant antiterroriste pris au début des années 2000 ne doit pas faire oublier qu’il a maintenu un régime particulièrement répressif. Il a mal géré ses ressources pétrolières. Son maintien au pouvoir représente également une menace pour les peuples voisins, notamment le peuple tunisien. Il a soutenu Ben Ali, même après sa chute. Le présenter comme un leader tiers-mondiste en lutte contre l’impérialisme occidental est un non-sens.
Après avoir été mise en difficulté par un excès de précipitation à reconnaître le Conseil national de transition (CNT), la France a replacé son action dans un cadre multilatéral. Une intervention française unilatérale telle qu’elle avait été initialement suggérée, aurait été militairement possible, mais aurait constitué une catastrophe stratégique. Nous aurions été coupés, non seulement de nombre de nos partenaires européens, mais également des puissances émergentes démocratiques comme l’Inde et le Brésil.
Dans l’intervention en cours, le problème n’est pas militaire mais stratégique. La priorité consiste à donner à l’intervention contre Kadhafi, le caractère d’une action de police menée au nom de la communauté internationale et non pas d’un remake de la guerre d’Irak où quelques pays occidentaux s’attaquent à un pays arabe. Le véritable succès français a été de trouver une majorité au Conseil de sécurité. C’est ce consensus international qu’il est impératif de préserver. S’il était rompu, nous perdrions tous les bénéfices de l’opération et les coûts et désagréments ultérieurs seraient supérieurs aux bénéfices à court terme, tant pour les occidentaux que pour le monde arabe.
Les Américains viennent de répéter que Kadhafi ne représente pas une cible. Il y a donc un risque que les opérations prennent du temps. Kadhafi ne pourra pas reprendre Benghazi mais les insurgés ne pourront pas facilement le déloger du pouvoir. Ira-t-on dès lors vers une partition de fait de la Libye ? Il sera difficile de trouver une majorité au Conseil de sécurité pour intensifier les opérations militaires.
L’objectif principal doit être de ne pas entraver le mouvement démocratique qui traverse les pays arabes. Le maintien de Kadhafi au pouvoir irait à l’encontre de ce mouvement, mais son renversement par une opération militaire, surtout occidentale, également. Kadhafi finira par tomber de l’intérieur, par le double effet de la contestation interne et de son isolement international.