L'édito de Pascal Boniface

Responsabilité de protéger ou ingérence ?

Édito
30 mars 2011
Le point de vue de Pascal Boniface
Au lendemain de la conférence de Londres sur la Libye, on peut se demander si la mission des troupes engagées, en vertu de la résolution 1973, n’est pas en train subrepticement de changer de sens. On passe, sans le dire officiellement, de la responsabilité de protéger au changement de régime. L’objectif de la 1973 a été atteint, on a évité le massacre annoncé par Kadhafi sur Benghazi. Faut-il dès lors continuer les bombardements sur les troupes qui lui sont restées fidèles ? Ne passe-t-on pas alors au statut de cobelligérants au côté des insurgés ? On peut certes partir du principe que tant que Kadhafi est au pouvoir, la population libyenne ne sera pas en sécurité et que la disproportion des forces, le manque d’équipement ou d’entraînement des insurgés doit nous conduire à les aider. Mais concrètement, on change le sens de la mission, car on se situerait clairement dans une option de changement de régime, objectif exclu lors du vote au Conseil de sécurité. Il n’est pas certain que la coalition qui a été mise en place en vertu de la résolution 1973, puisse y survivre longtemps.

La résolution 1973 a été saluée parce qu’elle mettait en œuvre le nouveau concept de « responsabilité de protéger ». Celui-ci se distingue de l’ingérence, qui n’est qu’une politique de puissance classique déguisée sous des bons sentiments. La responsabilité de protéger correspond une situation d’urgence, pour éviter des crimes de guerre, des massacres, des crimes contre l’humanité. Elle est décidée conjointement par les représentants de la communauté internationale, par un vote au Conseil de sécurité. Rien à voir avec une guerre unilatérale déclenchée en toute illégalité, fût-ce contre un dictateur. Ceux qui privilégiaient l’ingérence sur la responsabilité de protéger mettaient en avant le fait que la Russie ou la Chine feraient toujours obstacle à son évocation au Conseil de sécurité. La résolution 1973 est venue les démentir, ni Pékin ni Moscou n’a voulu être tenu responsable, par un vote négatif, d’un massacre qui s’annonçait certain.

Passer de la responsabilité de protéger à l’ingérence classique revient à délégitimer la première. Il sera plus difficile à l’avenir de l’évoquer si elle n’apparaît que comme une ruse pour faire accepter ce qui était refusé, à savoir un changement de régime par la guerre. Les pays réticents à voter en faveur d’une intervention militaire pour protéger une population menacée, verront leur suspicion renforcée.

Ce qui se joue en Libye, c’est l’avenir du concept de la responsabilité de protéger. Kadhafi est trop isolé sur le plan international pour se maintenir au pouvoir très longtemps. À terme il tombera. Mais le prix à payer pour sa chute sera moins lourd s’il tombe victime de son isolement que par une solution militaire extérieure, qui viendrait délégitimer le concept de la responsabilité de protéger.

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