BHL et la Libye : sauveur ou gribouille ?
L’implication de Bernard Henri Lévy dans le dossier libyen donne lieu, comme très souvent lorsque cette personnalité controversée est en cause, a des interprétations contradictoires. Commentaires dithyrambiques et admiratifs, certains sincères, d’autres serviles, font face aux propos allant du sarcasme à l’hostilité. Admirateurs et comptenteurs s’opposent.
Ces derniers mettent en doute la sincérité de BHL, estiment qu’il se sert du dossier libyen pour se mettre en scène et retrouver une crédibilité mise à mal par l’affaire Botul. Ils se gaussent du côté « People » (location d’un jet privé pour se rendre en Libye accompagnée d’un photographe), mettent en avant l’indignation sélective de BHL – qui a approuvé les bombardements de populations civiles lors des guerres du Liban et de Gaza et s’indigne du même type d’opération en Libye. Il rejette le Quai d’Orsay car trop officiel mais n’a pas non plus de contacts avec les O.N.G. qu’elles soient humanitaires ou de défense des droits de l’homme. Sur le dossier libyen, on reconnaît les critères classiques des interventions bheliennes : s’attaquer à un personnage très visible et largement détesté qui entretient des relations d’hostilité avec Israël.
Nicolas Sarkozy avait réalisé que la présidence du G8 et du G20 ne lui donnerait pas le succès diplomatique de nature à redorer son blason sur le plan intérieur. Il venait de subir quelque revers diplomatiques (Tunisie, Égypte, Mexique) et on commençait à lui reprocher son accueil de Kadhafi en 2008, voyait également un moyen de reprendre l’avantage en intervenant contre Kadhafi.
Toutes ces arrière-pensées existent probablement. Fallait-il pour autant s’opposer à l’intervention internationale en Libye ? Non. Lorsque la maison brûle on ne fait pas passer un examen de conscience aux pompiers pas plus qu’on ne leur demande leur CV. Il est indéniable que Bernard Henri Lévy a su habilement donner de l’éclat aux demandes du CNT, établir un lien politique avec Nicolas Sarkozy et permettre le déclenchement d’une opération qui a eu pour résultat d’empêcher un massacre publiquement annoncé par le colonel Kadhafi sur Benghazi. Quoi que l’on puisse penser du personnage et de ses méthodes, c’est un fait positif qu’il faut reconnaître. Ce n’est pas parce que Bernard Henri Lévy a une approche manichéenne des relations internationales (le bien – le mal, ceux qui sont avec moi – ceux qui ne sont pas) qu’il faut juger son action à la même aune.
Pour autant, l’impératif médiatique et l’insistance mise pour s’attribuer le bénéfice politico- moral de l’opération sont venus produire des effets contre productifs sur le plan politique et stratégique.
S’il pouvait se concevoir de recevoir à l’Élysée une délégation du CNT, était-il judicieux de la reconnaître (on sait peu sur elle), de surcroit, de façon isolée, la veille d’un sommet européen consacré à la Libye ? N’aurait-il pas été préférable d’en faire la proposition d’une reconnaissance commune aux pays européens ou du moins d’attendre l’issue de la réunion pour faire une telle reconnaissance ? Cette dernière était-elle d’ailleurs nécessaire ? Elle n’est en rien la condition de la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne. Le fait de vouloir être en pointe sur l’affaire, a certainement contribué à nourrir les réticences allemandes. La politique européenne de sécurité commune a été mise à mal dans cette affaire.
Il faut également se féliciter que le président n’ait pas suivi les préconisations de BHL, qui demandait à ce que l’intervention militaire ait lieu le plus tôt possible, sans passer par le Conseil de sécurité. L’argument classique d’un refus systématique de la Chine et de la Russie n’a pas tenu. On voit bien les très grandes difficultés dans lesquelles la France aurait été plongée si elle avait avancé en dehors d’un mandat de l’ONU, dont il faut reconnaître le mérite à Alain Juppé et à l’appareil diplomatique française (tant critiqué par BHL) de l’avoir obtenu. À suivre les préconisations de BHL, la France aurait été gravement isolée et l’intervention aurait rapidement tourné au cauchemar pour elle.
Ce n’est pas parce que BHL a joué un rôle dans l’intervention qu’il faut la refuser. Mais ce n’est pas parce qu’on reconnaît ce rôle qu’il faut accepter ses solutions à l’emporte-pièce, de nature à séduire les médias et flatter l’opinion mais qui n’apportent pas de solution durables.
Heureusement que l’intervention a eu le feu vert de l’ONU et s’est faite dans un cadre international légal. Et tout ce qui pourrait éloigner de ce cadre est à rejeter. Même si cela permet de faire des effets de manches et de mèches.
Les admirateurs de BHL n’ont pas tort d’affirmer que son intervention initiale a contribué à éviter la catastrophe à Benghazi. Ceux qui sont plus réservés sur le personnage n’ont pas tort de penser que le fait de ne pas continuer à suivre ses préconisations a permis d’éviter une catastrophe pour la France, et de créer les conditions d’autres catastrophes à venir dans la région.