Alain Juppé sur le front international… et interne
Samedi 16 avril, le Quai d’Orsay a organisé un colloque sur « le printemps arabe », dans ce lieu symbolique qu’est l’Institut du Monde Arabe à Paris. Il s’agissait de montrer que la France se veut à la pointe de la réflexion, mais également de l’action avec les bouleversements politiques en cours.
L’initiative de ce colloque est due à Alain Juppé, qui a remplacé à la tête du ministère des Affaires étrangères, Michel Alliot-Marie. On reprochait à cette dernière ses propositions d’aide à la police tunisienne et ses vacances lors de la révolution du jasmin. Avec une grande honnêteté intellectuelle, Alain Juppé a admis que la France n’avait pas su anticiper sur les révolutions arabes. Alors que, généralement les ministres se contentent de faire un discours et de partir immédiatement, il a assisté à la conférence du début à la fin, écoutant avec beaucoup d’intérêt les différentes interventions. La composition des différentes tables rondes était particulièrement éclectiques, allant des jeunes blogueurs, aux militants aguerris de la défense des droits de l’homme, en passant par les forces politiques se réclamant de l’islamisme.. Dans son discours de clôture, Alain Juppé a confirmé l’idée qu’il fallait accepter que les mouvements islamistes participent au jeu politique, à condition qu’elles refusent la violence et qu’elles respectent le verdict des urnes. Cela est une véritable nouveauté dans le discours public des autorités françaises, ordinairement réticentes à une telle perspective. La présidente de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme, Souhayr Belhassen, s’était également exprimée en ce sens, disant sa satisfaction qu’une loi sur la parité ait été acceptée, y compris par les islamistes en Tunisie. M. Ben Salem, représentant le parti islamiste tunisien Ennahda, a fait une profession de foi démocratique qui a marqué l’assistance. À une jeune femme qui lui demandait s’il confirmait bien que son parti ne réclamait pas l’application de code vestimentaire, de règles de conduite particulières, laissant à chacun la liberté, il a répondu par l’affirmative.
Alain Juppé s’est également engagé pour une aide économique rapide, notamment à l’Égypte et la Tunisie. Entre la baisse des recettes touristiques, la chute des investissements étrangers, le retour de leurs expatriés en Libye et la libération des revendications salariales autrefois étouffées, l’enjeu majeur est que ces pays ne tombent pas dans une crise économique qui provoque un désenchantement vis-à-vis de la démocratie.
Le printemps arabe recouvre en fait des situations nationales très différentes. Entre des pays qui ont vécu une révolution, un pays qui est en pleine guerre civile (la Libye), un pays qui a déjà pris des mesures d’ouverture (le Maroc) et des pays où la situation est plus qu’incertaine (Syrie, Bahreïn et Yémen).
La question de la restriction des flux migratoires en provenance des pays arabes a été posée. Alain Juppé a rappelé qu’en acceptant deux cent mille immigrés légaux par an, la France ne pouvait pas être considérée comme un pays fermé sur lui-même. Il n’en reste pas moins que les différentes déclarations du ministre de l’Intérieur, Claude Guéant et les polémiques sur le refus d’accorder des visas aux Tunisiens voulant se rendre en Europe, viennent jeter une ombre sur la perception de la politique française à l’égard du printemps arabe.
Il s’agissait également pour Alain Juppé d’affirmer sa position dans le débat franco-français, au moment où dans sa propre majorité, des voix négatives sur l’islam se sont faites entendre.
Il a su remettre au centre du dispositif la diplomatie française qui a souffert du passage de ministres contestés et qui ne s’étaient pas affirmés politiquement. Ayant déjà occupé les fonctions (1993-1995), il est considéré (avec Hubert Védrine) comme le ministre des Affaires étrangères le plus compétent et efficace, doté d’une vision globale des équilibres stratégiques globaux et du rôle de la France au niveau mondial.
Depuis sa nomination, il a beaucoup fait pour réparer les erreurs de ses prédécesseurs. Mais pour pleinement réussir son action extérieure, il doit également l’emporter sur le ministre de l’Intérieur. La France ne pourra pas être en phase avec le printemps arabe si son discours sur l’immigration fait plus de bruit que celui de sa compréhension politique des évènements.