L'édito de Pascal Boniface

Footballeurs, traitres à la nation?

Édito
29 avril 2011
Le point de vue de Pascal Boniface
Traites à la nation – Stéphane Beaud – La Découverte


La "grève" des footballeurs de l’équipe de France lors de la Coupe du monde 2010 a déclenché bien des polémiques. Stéphane Beaud revisite l’événement. Plus que sur l’état du football français, il en tire des conclusions sur l’état de la société française, son rapport au sport, aux sportifs et aux banlieues.

Selon lui, les évènements de Knysna ont été vite interprétés, par les entrepreneurs de morale républicaine, comme directement imputable à la jeunesse populaire des cités, à son inculture, son inconséquence morale et sa dangerosité sociale et politique. Il estime que les intellectuels néoconservateurs à la française ont profité de l’occasion pour racialiser cette question sportive et stigmatiser les jeunes d’origine étrangère.
Les joueurs de 2010 n’ont rien à voir socialement avec ceux de 1998. Stéphane Beaud y voit le reflet d’une désagrégation du lien social, d’un recul de la situation dans les banlieues. Pour lui, 2010 serait le prolongement des émeutes de 2005. Aujourd’hui, les joueurs se recrutent majoritairement dans les fractions basses des classes populaires.

En révélant, le lendemain, les mots de vestiaire d’Anelka, L’Équipe ne fait rien d’autre que profaner l’espace sacré des joueurs, transgressant ainsi une loi fondamentale de ce milieu professionnel. Stéphane Beaud s’interroge : « Peut-on imaginer un seul instant que des mots aussi crus, sortant de la bouche d’un candidat à une élection présidentielle, puissent faire la une d’un grand quotidien national ? Pour le football, sport populaire, pratiqué par des joueurs issus, pour la plupart, des banlieues, personne ne se gêne pour le faire et en retour, personne ne s’en étonne. » Stéphane Beaud réhabilite les joueurs « qui ont voulu montrer leur solidarité avec Anelka, à leurs yeux injustement exclu, parce que L’Équipe avait mis en une des propos qu’il n’avait pas tenu. »

Le football était autrefois un sport d’ouvrier, les formes de socialisation en milieu populaire dans la famille, à l’école, au catéchisme, au football sont homologues et se renforcent mutuellement. Les valeurs de travail, de respect et d’humilité sont inculquées à l’école, au centre d’apprentissage, comme sur le terrain de football. Instituteur et entraineur sont respectés.

Les joueurs de 1998 sont les héritiers du monde ouvrier de la France des Trente glorieuses, il n’y avait, parmi les 23 joueurs que 3 enfants d’immigrés : Zidane, Pirès et Vierra. Les autres n’apparaissent pas physiquement comme des Français de souche, mais sont issus des Dom-Tom. Il y a une majorité d’enfants issus des classes populaires traditionnelles, la plupart a grandi dans des bourgs ou des petites villes, la plupart a été élevé dans des familles stables, tant au niveau professionnel que matrimonial. À travers l’équipe des Bleus de 1998, c’est en quelque sorte la France ouvrière et rurale des Trente glorieuses qui vit ses derniers feux en donnant à l’équipe nationale ses plus beaux produits. Le sens du collectif, une certaine forme d’humilité, le respect des anciens, l’amour du maillot bleu et de la patrie.

Par rapport aux Bleus de 2010, leur spécificité est d’avoir grandi dans des quartiers où habite encore une population mélangée et pas encore paupérisée. Tous insistent sur la bonne ambiance des quartiers HLM qui n’étaient pas encore devenus « des citées ». La comparaison des deux équipes de France, 1998 et 2010, indique que la force de la première tenait à la relative homogénéité de son recrutement social. Avec des enfants issus des petites classes moyennes et classes populaires.

Ceux de 2010 peuvent être considérés comme des enfants de la ségrégation urbaine, habitats HLM de plus en plus concentrés socialement et réservés aux familles immigrées les plus récentes et les plus pauvres, départ croissant des familles stables vers le pavillon, chômage endémique des jeunes et des parents, panne de l’éducation populaire, crise du militantisme associatif. La France du football recueille de manière incidente les fruits amers de la xénophobie d’état et des politiques sociales, judiciaires menée depuis 2002 contre les étrangers.

L’argent coule à flot dans le football pour la génération 2010, dans un sport mondialisé et ouvert à la concurrence. Les Bleus de 2010 bénéficient plus que largement de cette nouvelle donne sur le plan salarial et patrimonial, mais Beaud estime cela induit également un coût en terme de fragilisation psychologique, liée au déracinement géographique et social, et de pressions mentales -être à la hauteur du montant du transfert, savoir composé un personnage hautement médiatique…

Beaud conclue que le traitement médiatique de la grève des Bleus a aussi permis de mesurer à quel point le football restait un sport socialement peu noble en France. Les footballeurs français expatriés en Angleterre, sortis des grandes écoles du foot français ne bénéficie pas du même traitement et des mêmes indulgences que les traders français de la city sortis eux des grandes écoles d’ingénieurs ou de commerce. Ceux-ci sont loués pour leur cosmopolitisme, leur intrépidité, leur capacité à valoriser la formation mathématique à la française, les joueurs de foot sont d’avantage perçus comme des mercenaires qui s’abiment dans la culture de la frime.
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