Mélissa Theuriau, Caroline Fourest, Sophia Aram et le courage
La semaine dernière, Caroline Forest était invitée à la matinale de France Inter pour son livre sur Marine Le Pen. L’humoriste maison Sophia Aram la félicita chaudement pour le courage dont elle avait fait preuve avec cette publication, dans la lignée de celui qui lui avait été nécessaire pour rédiger un livre sur Tariq Ramadan. Pour faire l’apologie d’une des meilleures amies du patron de France Inter, Sophia Aram n’a pas eu besoin d’un courage excessif.
L’étiquette de courageuse convient-elle à Caroline Forest ? Elle la revendique et elle lui est souvent attribuée par ceux, nombreux dans les médias, qui l’encensent. La promotion de son livre sur Marine Le Pen est d’ailleurs triomphale et ressemble par son ampleur à celles qui sont mises en place lorsque BHL, de ses parrains, sort lui-même un livre. Je n’entre pas ici dans le débat du rapport pour le moins élastique que Caroline Forest entretient avec la vérité.
Mais il est évident que s’attaquer à Marine Le Pen n’exige aucun courage. Elle est certes extrêmement visible, elle a une forte popularité dans une grande partie de l’opinion française, mais d’un point de vue médiatique, il n’y a aucun risque à s’en prendre à elle. On est au contraire sur de faire à la quasi unanimité. De même s’attaquer à Tariq Ramadan, ostracisé par les médias d’État, tient plus de la volonté de plaire aux faiseurs d’opinion qu’à une manifestation de courage. Le courage ne consiste pas à s’attaquer à des personnes visibles mais sans pouvoir, mais d’oser prendre à contre-pied ceux qui ont des positions de puissance. Dévoiler les supercheries de BHL comporte plus de risques professionnels que de taper sur Tariq Ramadan. Mais en France on peut encore vaincre sans péril et triompher avec gloire.
Melissa Theuriau a fait un documentaire sur Gaza. Il est déjà étonnant que M6 ait accepté de le diffuser et que la presse s’en soit fait l’écho dans des proportions non négligeables. Dans les interviews qui ont été faits, on n’a pas demandé à Melissa Theuriau, s’il lui avait fallu du courage moral et physique pour faire ce reportage, on lui a plutôt demandé s’il s’agissait d’un acte militant. Pourtant, évoquer les souffrances des Palestiniens, refuser l’assimilation Gaza égale terrorisme, est une réelle preuve de courage. C’est aller à l’encontre du « syndrome Catherine Nay », du nom de cette journaliste d’Europe 1 qui avait subi une tempête médiatique pour avoir fait une comparaison entre Mohamed El Bouras et l’enfant juif de la photo du ghetto de Varsovie et qui en avait tiré comme conclusion qu’elle n’évoquerait plus jamais le Proche-Orient.
Dans son livre La peur des barbares, Tzvetan Todorov remarque que celui qui critique d’une façon ou d’une autre les musulmans est aussitôt salué par les autres pour son courage, que le terme de courageux revient en boucle dans les exercices d’autosatisfaction et d’admiration mutuelle. Il écrit « il est un peu excessif, avouons-le, de vouloir bénéficier à la fois de l’honneur réservé aux persécutés et des faveurs accordées par les puissants ».