L'édito de Pascal Boniface

Retour d’Égypte

Édito
15 juillet 2011
Le point de vue de Pascal Boniface

Que retenir d’un bref séjour en Égypte ? Bien sûr la situation reste incertaine, la transition n’est pas achevée, mais les motifs d’optimisme l’emportent.

Sur le plan institutionnel, la transition devrait être courte. Il n’est pas dans l’intérêt des militaires de garder le pouvoir, ils ne sont pas outillés pour cela, ils savent que leur popularité s’éroderait, et qu’il y aurait plus à y perdre qu’à y gagner. La préservation de leur rôle économique et social passe par une modération de leurs exigences politiques.

Pour la première fois de leur histoire, les Égyptiens vont voter librement aux législatives, qui devraient avoir lieu en septembre, puis aux élections présidentielles, fin 2011 – début 2012. Sous Moubarak, seuls 10 % des électeurs allaient voter. Ils devraient être 30 à 40 % à le faire cette année. Il y aura donc une Égypte fondamentalement nouvelle. Mais cette Égypte fondamentalement nouvelle ne remettra pas en cause l’économie de marché, elle mettra le système en cohérence avec les valeurs proclamées. La paix avec Israël n’est pas plus remise en cause, ne serait-ce que du fait de l’alliance stratégique avec les États-Unis et du rapport de force militaire entre l’Égypte et Israël, mais cela sera une paix plus exigeante, où l’Égypte -ou plutôt les Égyptiens- seront plus affirmatifs dans leurs positions et auront à cœur de se faire plus respecter.

Le poids des Frères musulmans est estimé en général à 20 – 25 %, les estimations les plus extrêmes allant de 35 à 15 %. Ils ne seront pas en mesure d’obtenir la majorité à eux seuls. Ils ont d’ailleurs décidé de ne présenter des candidats que dans la moitié des circonscriptions législatives, et de ne pas présenter de candidat à l’élection présidentielle. La disparition de Moubarak leur donne moins d’espace. Leurs divisions semblent profondes. Un parti salafiste devrait se présenter, avec un bloc de libéraux et un autre composé de sociaux-démocrates et ex-nassériens. L’implantation locale et la notoriété personnelle des candidats joueront un grand rôle pour les législatives.

Sur le plan économique, l’inquiétude à court terme devrait être dissipée l’an prochain. Le tourisme et le bâtiment souffrent, les autres secteurs moins. La chute des envois de fonds des Égyptiens émigrés en Libye est compensée par l’augmentation de ceux provenant du Golfe. La plupart des observateurs estiment que la lutte contre la corruption et une plus grande transparence créeront un sentiment plus grand de confiance des investisseurs.

Reste la question sociale. Elle est essentielle et encore sous-évaluée. Le principal danger pour la révolution est la myopie sociale. Par exemple, une grande partie du budget de l’État est encore affectée aux subventions à l’énergie et à l’essence, qui profitent essentiellement aux classes les plus favorisées. Pour le moment, le débat est concentré sur les questions institutionnelles. La question sociale est trop largement occultée.
Il est essentiel que le processus politique en cours en Égypte réussisse. Il y va, au-delà du sort de l’Égypte, de l’avenir du monde arabe et de son image dans le monde occidental, des relations entre monde arabe et monde occidental. C’est une façon de clore le faux débat sur l’incompatibilité de l’islam, ou du monde arabe, avec la démocratie.

L’Égypte avait vu son rôle constamment décliner au cours des deux dernières décennies. Elle avait perdu son rôle central dans le monde arabe, celui-ci étant lui-même en déclin relatif. La supposée modération politique de l’Égypte la rendait extrêmement populaire dans le monde occidental, mais cette popularité était inversement proportionnelle à son influence. L’Égypte est de nouveau sur ses pieds. Le processus politique en cours non seulement aura évidemment des conséquences sur le plan intérieur, mais permettra à l’Égypte de retrouver un statut international plus conforme à sa tradition.
 


 

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