Oslo : qui sème la peur de l’islam récolte la haine
Dans les heures qui ont suivi les attaques qui ont fait 76 morts à Oslo, un certain nombre de journalistes et d’experts occidentaux ont immédiatement attribué ces attentats à Al Qaïda. Ils ont expliqué doctement les raisons pour lesquelles Al Qaïda en voulait spécifiquement à la Norvège. Cela traduit le danger de commenter à chaud un événement sur lequel on a peu d’informations. Le piège de la dictature de l’instant et de l’information instantanée conduit certains à parler sans prendre le recul nécessaire. C’est également significatif du formatage intellectuel de nombreux commentateurs occidentaux des questions internationales : s’il y a un attentat, l’origine ne peut qu’être islamiste. Cela montre que l’idéologie et les préjugés peuvent s’avérer plus fort que la réalité, et que trop de personnes parlent sans savoir. Europol, dans un rapport récent sur le terrorisme en Europe, révélait que sur 294 attentats en Europe survenus en 2009, un seul était attribué au terrorisme islamiste. Mais rassurons-nous : tous ceux qui ont attribué à Al Qaïda les attentats d’Oslo – arguments et démonstrations à l’appui – continueront de pérorer.
Très rapidement ils ont été démenti, et ne seraient plus de ce monde si le ridicule tuait encore. L’auteur du double attentat, Anders Behring Breivik, n’était en rien un musulman aveuglé par le radicalisme, mais un Norvégien d’extrême droite, animé par la haine des musulmans. Il avait préparé ses attentats depuis longtemps et mis en ligne un « testament » de 1 518 pages où il se décrit comme le commandant d’un nouvel ordre templier, un mouvement de croisés qui combat pour les « droits des peuples autochtones d’Europe contre le djihad européen en cours ». Pour lui, le multiculturalisme produit une idéologie de haine dont le but est de détruire la civilisation occidentale. Il y voit un risque de destruction des capacités de défense de la société européenne, ce qui ouvre la voie à l’islamisation de l’Europe et à un génocide culturel.
Dénonçant l’antisémitisme de l’ancienne extrême droite, il préconise un rapprochement de la nouvelle génération des patriotes avec « notre allié Israël » ce qui permettra à long terme d’isoler le monde musulman et de requalifier « sa religion en idéologie fasciste impérialiste ».
Voilà pourquoi écrit-il « le temps de la résistance armée est venu » et que la cible prioritaire doit être la fête annuelle du parti social-démocrate.
Le parti travailliste norvégien est en effet en pointe sur la reconnaissance des droits des Palestiniens, la Norvège s’apprêtant à reconnaître l’État palestinien lors de la prochaine assemblée générale de l’ONU et plaidant depuis longtemps pour la fin de l’occupation israélienne.
Bien sûr Breivik a agi de façon isolée.
Mais s’il est arrivé à des conclusions aussi folles que criminelles, c’est qu’il a baigné dans une atmosphère de stigmatisation de l’islam dans le monde occidental, qui était devenue dominante depuis les attentats du 11 septembre et n’était pas que le fait de l’extrême droite. Celle-ci, qui voyait autrefois dans les juifs des gens incapables de s’intégrer dans les sociétés occidentales, réserve désormais ce traitement aux musulmans. Mais au-delà de ce noyau de l’extrême droite, tout un courant a participé à cette campagne visant à présenter l’islam et les musulmans comme une menace potentielle sur les libertés (affaire des caricatures) et sur la laïcité. Des gens se réclamant de la gauche ont pu développer le concept creux de « fascislamisme » et à force d’affirmer qu’une menace existentielle pèse sur le monde occidental, ils ont contribué à renforcer la paranoïa. Si nous sommes en guerre, tous les moyens sont bons pour la gagner. Ceux qui mettaient en garde contre le danger d’une telle orientation du débat étaient immédiatement qualifiés de proislamistes ou d’idiots utiles du terrorisme. La mort de Ben Laden, le printemps arabe, l’usure des arguments fallacieux contre les musulmans permettaient d’espérer un assainissement du climat. Les attentats d’Oslo nous obligent à approfondir la réflexion. Saluons le maire d’Oslo, Fabian Stang, qui a déclaré « on punira le tueur en réagissant avec plus de tolérance et de démocratie. » Et réfléchissons aux responsabilités de ceux qui ont semé la peur et récolté la haine.