5 questions sur la Libye
1. Tunisie, Égypte, Libye même combat ? Vrai et faux.
La révolte contre le régime de Kadhafi a bien été initiée par l’exemple donné en Tunisie et en Égypte. Comme dans ces deux pays, un dictateur jugé indétrônable a été renversé. Mais à Tunis et au Caire, c’est une révolte populaire, que les forces de sécurité nationale n’ont pas voulu réprimer, qui a permis la victoire. En Libye, Kadhafi est tombé à la suite d’une guerre civile dans laquelle des puissances militaires étrangères ont pris parti.
2. La guerre en Libye est le contre modèle de la guerre d’Irak ? Pas tout à fait.
Il y a trois grandes différences entre ces deux conflits. La résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations Unies a donné une couverture légale à l’intervention militaire occidentale, les Occidentaux n’ont procédé qu’à des opérations aériennes (qui leur ont permis d’éviter des pertes humaines), les combats au sol ayant été le fait de nationaux. Et il n’est pas prévu, après la victoire, de déployer des troupes étrangères en Libye. Sans l’intervention militaire occidentale, la chute de Kadhafi n’aurait pas été possible. Mais on s’est éloigné en cours de route du mandat de cette résolution 1973 pour passer de la responsabilité de protéger à la cobelligérance.
Si les pays de l’OTAN ont outrepassé le mandat de la résolution 1973 qui ne permettait que la protection des populations et non d’aider militairement des insurgés, y compris par la fourniture de conseillers et d’équipements, il faut bien admettre que les pays qui n’avaient pas approuvé cette résolution – mais qui ne s’y étaient pas opposés – n’ont pas voulu aller au-delà de la mise en garde verbale, malgré le changement de la mission. La Russie, la Chine et le Brésil auraient pu mettre en difficulté les pays de l’OTAN, demandant des comptes précis sur l’application de la résolution. Ils ont regardé ailleurs au cours des combats donnant un feu vert implicite au renversement de Kadhafi.
3. L’exemple libyen peut-il faire école ? Non.
Il y a réellement une spécificité libyenne, Kadhafi s’étant mis le monde entier à dos. Réconcilié en façade avec les gouvernements occidentaux, il était toujours largement rejeté par les opinions, ce qui a facilité l’approbation de la guerre. Il avait lassé l’ensemble des dirigeants arabes en les insultant, ou en fomentant des mauvais coups contre eux. La promesse de faire un nouveau Tian’anmen avait largement refroidi le soutien chinois. Kadhafi était le dirigeant visiblement le plus isolé sur le plan international. Il avait commis l’erreur d’annoncer à l’avance un massacre. On savait par ailleurs qu’il était militairement une proie facile pour les armées occidentales. On avait donc un dictateur largement rejeté, menaçant, mais en réalité faible. Il y en a de nombreux autres qui sont soit moins identifiés soit moins faibles et donc moins en danger.
4. Quel avenir pour la Libye ? C’est la grande inconnue.
La Libye va-t-elle enfin pouvoir bénéficier de ses vastes richesses pétrolières et gazières pour les mettre au service du développement économique et social de son peuple ? Ou va-t-elle sombrer dans le chaos du fait des dissensions des vainqueurs qui, avec Kadhafi, vont perdre le ciment qui les unissait ? Ce sont les deux scénarios extrêmes, il y en a de nombreux autres intermédiaires. Le Conseil National de Transition a aujourd’hui la légitimité de celui qui a fait tomber un dictateur. Il ne la gardera que s’il préserve l’ordre et l’unité et n’apparaît pas comme la marionnette des pays occidentaux.
5. Quel avenir pour la « responsabilité de protéger » ? C’est flou.
Ce concept, développé en 2005 (et donc après la guerre d’Irak), avait l’immense avantage d’éviter d’être confronté au dilemme entre ingérence (qui n’est qu’une politique de puissance mal déguisée) et impunité des tyrans. Il permet une intervention internationale franche, y compris armée, à partir du moment où les violations des droits humains sont suffisamment importants pour provoquer une réaction consensuelle de la communauté internationale. C’est pour cette raison qu’il a été invoqué pour la Libye, Kadhafi ayant promis un massacre. Mais le précédent a tourné court puisque la cobelligérance fut de fait une ingérence, une participation à une guerre civile. Sera-t-il dès lors possible d’évoquer de nouveau la « responsabilité de protéger » ? Les pays traditionnellement rétifs à l’ingérence (Russie, Chine, grandes démocraties du Sud) ne vont-ils pas refuser d’en accepter de nouvelles par peur que celles-ci ne soient que le premier pas vers une ingérence classique ? On peut le craindre.