13.12.2024
Todorov et les ennemis intimes de la démocratie
Édito
31 janvier 2012
Dans la Bulgarie communiste où il a vécu jusqu’à l’âge de 24 ans, Tzvetan Todorov remarque que l’absence de liberté touchait bien sûr les choix politiques, mais également des aspects qui n’avaient aucune signification idéologique : le choix du lieu de résidence, d’un métier ou même les préférences pour tel ou tel vêtement. Le mot liberté était valorisé par le régime mais cela servait à dissimuler son absence.
C’est donc avec inquiétude qu’en 2011 il a vu le terme de liberté devenir un nom de marque des partis politiques d’extrême droite et xénophobes en Europe : « je me suis aperçu qu’un certain usage de la liberté peut représenter un danger pour la démocratie. Celle-ci est menacée non pas par ceux qui se présentent ouvertement comme ses ennemis de l’extérieur, mais plutôt de dedans, par des idéologies et des mouvements qui disent être ses défenseurs. »
Il dénonce le messianisme politique qui estime que le mal peut être accompli au nom du bien car il est justifié par un but présenté comme sublime.
Todorov voit une première vague de messianisme politique avec les guerres révolutionnaires et coloniales, le deuxième a été le projet communiste, le troisième consiste à imposer la démocratie par les bombes. Dans la suite de ses ouvrages précédents il voit la première manifestation avec la guerre du Kosovo de 1999, suivie par l’intervention en Afghanistan en 2001, celle d’Irak en 2003 et la Libye en 2011.
Il écrit : « On PARLE beaucoup en Occident du danger que représente l’islamisme pour les pays d’Europe ou d’Amérique du Nord, ce qu’on VOIT en revanche, ce sont les armées occidentales qui occupent les pays musulmans où qui y interviennent militairement. »
Pour la Libye, il estime qu’avec l’intervention initiale qui a détruit les forces aériennes du régime Kadhafi a stoppé l’avancée vers la ville qui était aux mains des insurgés, il était possible d’imposer un cessez-le-feu, tous les belligérants à la suite de quoi, auraient pu s’engager des pourparlers politique, de préférence sous l’égide de l’Union africaine. Mais c’est la voie de l’affrontement militaire qui a été privilégié.
Il voit deux raisons structurelles à l’échec des stratégies de cette nouvelle forme de messianisme politique. La première est que la violence des moyens annule la noblesse du fin « il n’existe pas de bombes humanitaires », la seconde réside dans le fait qu’imposer aux autres le bien par la force au lieu de seulement leur proposer, revient à postuler au départ qu’ils sont incapables de se diriger eux-mêmes et que pour être libérés ils doivent d’abord se soumettre.
Passons sur le plan intérieur. Il dénonce les excès de la liberté du financement de la vie politique aux États-Unis qui devient contraire à la démocratie.
Il rappelle la phrase de Lacordaire de 1848 : « entre le fort et le faible, entre le Riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. »
Il dénonce l’hostilité face à l’islam, entretenue par les pouvoirs politiques et les médias, estimant que le ministère de l’Identité nationale aurait pu s’appeler ministère des Affaires islamiques tant les populations musulmanes étaient sa principale préoccupation. Ou lorsque le président de la république estime que la communauté française veut se défendre pour préserver son mode de vie, il note que "le mode de vie des Français a changé de manière spectaculaire au cours des 100 dernières années, sous la pression de nombreux facteurs, comme le recul de l’agriculture la montée de l’urbanisation, l’émancipation des femmes, le contrôle des naissances, les révolutions technologiques et l’organisation du travail. Les contacts avec la population étrangère est à cet égard un facteur plutôt marginal." Conclue-t-il en rappelant que la culture de loin la plus influente en France est celle des États-Unis.