04.11.2024
Quatre questions à Esther Benbassa
Édito
13 février 2012
Vous écrivez que « la France ne fabrique plus de rêves. » Aujourd’hui une Esther Benbassa ferait-elle comme vous l’avez fait il y a plusieurs années, le choix de quitter votre pays pour venir en France ?
Je ne suis pas sûre qu’aujourd’hui j’aurais choisi la France comme pays d’immigration. Mais dans mon enfance, et là où j’ai grandi, la France bénéficiait d’une aura inimaginable. Nous étions écrasés par le modèle culturel français, par l’histoire de la France, ses héros, ses révolutions. Même le génocide des Juifs n’avait pas entaché entièrement ce rêve français. La langue française et la littérature française ont accompagné mon enfance et ma jeunesse. De nos jours, c’est le modèle anglo-américain qui a devancé dans les imaginaires la France. Si on vient étudier en France, c’est parce que les études n’y sont pas payantes et que même les grandes écoles y coûtent bien moins cher que leurs équivalentes aux Etats-Unis. Et lorsqu’on y émigre, c’est en général en raison de la proximité géographique et/ou culturelle des pays d’où l’on est originaire. La majorité de nos immigrés viennent de l’ancien empire colonial français. Notre pays attire une population démunie, à la recherche de meilleures opportunités économiques. Les élites préfèrent se diriger vers les Etats-Unis où les possibilités de réussite sont plus grandes et les universités certes payantes, mais de meilleure qualité. Le rêve américain existe encore malgré la crise, mais le rêve français, lui s’est rabougri. Il y a la France-musée de Midnight Paris, celle que l’on vient visiter. La France mère des arts, des lettres et de la musique relève désormais de l’histoire. Si j’avais demain vingt ans, je ne pense pas que je serais venue en France. Même si elle a été généreuse avec moi, le prix payé a été très élevé.
Vous dénoncez une instrumentalisation politique de la question de l’identité nationale. En quoi et pour quel but ?
Ces dernières années, on a assisté à l’émergence d’un néo-nationalisme comme remède aux maux de la société, une sorte de cache-misère. Devant le chômage galopant, la morosité, la crise, on a imaginé en haut lieu de rétablir la cohésion nationale par le repli, en recourant aux thèmes éculés du nationalisme d’antan, qui, comme on le sait, a pourtant mené au pire. Les leçons de l’histoire ne profitent quasiment jamais à nos dirigeants. Ils en font fi. L’identité nationale devait servir de marqueur ultime à une cohésion imaginée et totalement théorique. Qui dit identité nationale, dit rejet, exclusion, stigmatisation de l’Autre. Et pourtant « identité nationale » ne signifie plus grand chose dans un monde où nous cultivons tous ces identités multiples qui font notre modernité. Le thème est cher aux électeurs du Front national, que Sarkozy, en 2007, avait en partie séduits. Les mêmes, déçus actuellement par le président sortant, se sont rapprochés de nouveau du FN. L’instrumentalisation de ce thème n’a pas été très opérationnelle, mais elle a réussi à diviser la société et à semer les germes de la xénophobie dans les esprits. Identité nationale pour les autochtones, opposés aux immigrés, aux étrangers, aux Français descendants d’immigrés qui n’acquerront pas, quoi qu’ils fassent, ce qui doit, inéluctablement, leur manquer.
Selon Nathalie Kosciusko Morizet « On court en vain après le programme du Front National » vous ajoutez « en vain oui mais on court ».
Le flirt avec le FN est ancien. Il a commencé avec l’élection de Sarkozy. Actuellement, au sein de l’UMP, une soi-disant « Droite populaire » développe des propositions très proches de celles du parti de Marine Le Pen. On peut même les confondre tant elles paraissent calquées les unes sur les autres. Le programme du FN ne peut pas résoudre les problèmes actuels de la France, ce sont des paroles qui caressent les bas instincts xénophobes de nos concitoyens. Avec des paroles, on n’a jamais mis fin au chômage, à une crise économique, aux questions concernant notre environnement, le logement, les transports, l’éducation, la santé. Le gouvernement en place a failli également dans sa mission. Dès lors qu’on n’a rien d’autre à proposer, on vend du nationalisme, qui ne coûté rien et qui peut rapporter gros. Dans l’entre-deux-guerres, le Juif a servi de repoussoir aux défenseurs de l’identité nationale, aujourd’hui c’est l’Arabo-musulman, le musulman et l’immigré. Des cibles fragiles qu’on désigne à d’autres pauvres, qui n’ont pour capital que le fait d’être des Français « authentiques », « de souche ». A force de courir derrière le FN, l’UMP s’est lepénisée à grande vitesse, avec pour figure emblématique M. Guéant, emportant avec lui les vrais républicains. Un vrai désastre.
Vous avez été élue en septembre Sénatrice Europe Ecologie Les Verts. Pensez-vous que le PS ou une partie du PS à un problème avec l’islam et les musulmans ?
Une partie du PS et plus largement de la gauche – une partie seulement – a véritablement peur de l’islam, je l’ai constaté au Sénat lors de nos discussions sur la loi désormais appelée « loi anti-nounous voilées » par le public. A la peur s’ajoute, chez certains, le mépris, un sentiment hérité du colonialisme. Qu’il y ait des racistes qui cachent leur rejet derrière la revendication d’une laïcité dogmatique, cela n’est pas impossible du tout. Comme tous se réclament de la laïcité, il est difficile de séparer le bon grain de l’ivraie. Certes, si on se réfère à la loi de 1905, qui appelle au respect de toutes les religions dans l’espace privé, nous sommes tous des laïcs et tous nous partageons cet idéal de vivre-ensemble. Lorsque la laïcité devient l’autre nom de l’islamophobie, là, il y a un vrai danger. Certains de nos amis de gauche, peut-être sans le savoir, en sont atteints et si on le leur dit, ils sont les premiers à être choqués tant ils sont convaincus d’être les champions de la lutte contre le racisme. Il y a aussi le fait qu’on ne sait pas comment faire avec l’islam. Le retour d’une partie des jeunes musulmans à une religion plus stricte que celle de leurs parents et leur souhait de vouloir le montrer dans l’espace public par leur accoutrement, le port du voile, etc., cachent une réalité sans doute plus massive, qui est une grande sécularisation, parallèle, des musulmans de France. C’est la partie visible de l’iceberg qui suscite la peur de l’envahissement par une religion qu’on réduit également, dans certains milieux, au terrorisme, à l’islam des pays arabes, etc. Tout cela empêche l’islam de France de s’organiser et de mettre en place un islam de diaspora dans sa diversité. Il ne faut pas non plus être irénique, ni nier qu’il y ait des excès, ici ou là, en France parmi les musulmans. Et sans doute faut-il être attentif à ne pas laisser les plus intégristes monopoliser l’espace public. Cela étant, les lois successives, qui se superposent les unes aux autres, contre le port du voile, avec l’appui et de la gauche et de la droite, ne peuvent que renforcer le repli de certains des musulmans de France. Qui peut donc s’en réjouir ?