04.11.2024
À nous la France – Entretien avec Rokhaya Diallo
Édito
5 juin 2012
1. Vous dites refuser d’employer le terme « diversité » malgré la popularité de ce terme qui est passé dans le langage courant, pourquoi ?
Ce n’est pas tout à fait le terme que je refuse mais surtout son usage.
La lutte en faveur de la diversité a supplanté dans le vocabulaire courant la lutte contre le racisme ou les discriminations. Il est sans doute plus facile de se prononcer en faveur de la diversité, que de lutter contre des pratiques discriminatoires illégales, ce qui de fait obligerait à désigner des responsables. Le sous-entendu positif du mot « diversité » met tout le monde d’accord, sans obligation de résultat. Personne ne peut raisonnablement s’opposer à la diversité, mais sous cet angle on oublie d’indiquer que l’absence de diversité est en premier lieu due à des pratiques conscientes ou non qui tiennent les minorités à l’écart.
Le mot « diversité » permet de contourner les réalités, d’éviter d’affronter des dénominations plus précises. Ainsi, on évite soigneusement de parler d’« Arabes » de « Noirs » , d’« Asiatiques » ou de « non-Blancs » (même si je reconnais la première que ces termes peuvent être sujets à débats) parce qu’on refuse d’être mis face à des réalités qui dérangent. On parle aussi souvent de diversité en englobant plusieurs thématiques, comme la diversité socio-économique par exemple. Or s’il y a un vrai problème de discrimination sociale en France, il ne peut en aucun cas être confondu avec la question des discriminations racistes qui touche aussi des personnes issues de catégories sociales élevées.
Enfin, je suis très amusée par la désignation de certaines personnes comme étant « issues de la diversité ». La Diversité serait-elle un pays peuplé d’Arabes, d’Asiatiques et de Noirs ? Et dans ce cas de quoi sont issues les personnes blanches ? En toute logique, la diversité de la population française englobe l’ensemble des citoyens, Blancs compris.
2. Vous écrivez que votre France est aussi une France de bons et de chevelure frisée et de noms difficiles à prononcer (et vous ajoutez avec malice qui ne l’aime pas peut dès lors s’appliquer à lui-même une fameuse injonction : la quitter) pouvez-vous précisez votre vision ?
C’est une remarque ironique évidemment, je ne suis pas partisane de ce type de chantages. Ce que je constate avec cette réflexion c’est le fait que celles et ceux qui fustigent la présence et la visibilité des minorités en France témoignent en réalité d’un rejet de la France telle qu’elle est. Les musulmans, les Roms, les banlieusards qui sont en permanence montrés du doigt font partie intégrante de la France. Donc suivant la logique de ceux qui proclament « la France tu l’aimes ou tu la quittes » ce ne sont pas les minorités qui devraient quitter la France où ils sont chez eux, mais ceux qui ne supporte pas de les côtoyer dans ce pays…
Ceci dit ça reste un conseil amical, je ne me permettrais jamais de pousser quiconque vers la sortie, le débat démocratique y compris quand il est critique vis à vis de la République doit avoir droit de cité.
3. Selon vous, la dénonciation du communautarisme est le fait d’une élite inquiète de perdre sa position dominante, que voulez-vous dire par là ?
Absolument, d’ailleurs ce terme de « communautarisme » est une aberration de la langue française. Dès lors que deux Arabes ou trois Noirs organisent quelque chose ensemble on crie au loup comme s’ils fomentaient un complot contre la République.
Si on se fie à la définition stricte du mot, il consisterait en un projet de séparatisme et de sécession d’un groupe par rapport à la communauté nationale. Or qui porte un tel projet en dehors de groupes néo-nazis ? Les groupes regroupés sur des critères d’appartenance, ne réclament au contraire rien de moins que l’inclusion et l’application des règles de l’égalité républicaine. Est-ce que l’on reproche aux féministes d’être dans une majorité écrasante des femmes ? Au contraire ce sont les hommes qui ne s’impliquent pas dans ces causes qu’il faudrait interroger, non ?
En réalité si la société était égalitaire, c’est une grande partie de ceux qui profitent des inégalités en étant surreprésentés dans les instances élitistes qui risqueraient de perdre leur place, d’où leur promptitude à s’inquiéter du moindre regroupement communautaire.
4. Vous lancez une réflexion intéressante que l’on voit peu dans les débats consacrés à la diversité (pardon d’utiliser le terme), c’est l’atout en terme de rayonnement que peuvent représenter les minorités pour la France, vous écrivez que c’est même une façon de survivre et d’exister dans ce monde en mutation. (L’IRIS avait organisé en 2008 un colloque sur le thème « la diversité, un atout pour la France ? »)
Il me semble important de rappeler au préalable que ce n’est pas par intérêt mais par souci de justice que l’on doit favoriser l’ouverture de la France à tous et de toutes.
Nous vivons dans un pays ancien, qui n’a aujourd’hui plus la même stature internationale ni le même prestige qu’autrefois. Pourtant les personnes talentueuses et compétentes sont nombreuses, y compris parmi les minorités. Hélas ces figures sont rarement reconnues et nombre d’entre elles finissent par quitter la France, faute d’avoir pu s’épanouir ici. Pourtant la France gagnerait à redorer un peu son image en s’appuyant sur ces personnes.
En 1987, le premier acteur noir ayant obtenu un César était Isaach de Bankolé, 25 ans plus tard, c’est dans des superproductions hollywoodiennes que l’on peut le voir jouer. Le cinéma français n’aurait-il pas eu intérêt à se nourrir de son talent ? Pourquoi n’avons nous toujours pas nos Lucy Liu, Will Smith ou Salma Hayek? La France est un des leaders mondiaux dans le domaine du rap, mais les chaines de TV font silence sur ces productions culturelles.
Au contraire, la culture américaine s’est toujours alimentée des cultures des minorités et des milieux populaires pour en faire le fer de lance des productions mainstream. L’exemple du hip hop est assez saisissant de ce point de vue.
5. Outre le fait que le solde économique de l’immigration est positif pour la France (12 milliards d’euros) vous plaidez pour un meilleur accueil au vu du dynamisme dont font preuve les immigrés ne serait-ce que pour réaliser leurs projets de quitter leur pays d’origine.
On s’apitoie souvent sur le sort des immigrés comme s’ils étaient une espèce à protéger. J’essaie de démontrer dans mon livre combien le fait même de quitter son pays, sa famille, les siens pour rejoindre un pays inconnu, dont on ne parle pas la langue, parfois au péril de sa vie, est un acte d’un courage inouï. Des milliards de personnes vivent dans des régions pauvres ou en guerre mais rares sont celles qui adoptent la démarche migratoire. Certains pays considèrent que la démarche des migrants implique des qualités entrepreneuriales et de ce fait soutiennent leurs démarches qui permettent de profiter de leurs atouts. Il ne s’agit pas d’une démarche charitable ni désintéressée mais de pragmatisme. Il faut sortir de cette logique qui consiste à voir des « potes » à protéger derrière chaque immigré. Certes il est essentiel de lutter tous ensemble contre les atteintes qui sont faites à leurs droits humains, mais il faut les considérer comme des personnes susceptibles de prendre leur destin en main.
6. Vous concluez en notant la différence entre le communautarisme que l’on aime dénoncer quand il s’agit de minorités et celui d’une classe de favorisés qui est parvenue à s’organiser de manière efficace pour exclure ceux qui voudraient s’y mêler. Pouvez-vous préciser ?
Ce qui se rapproche le plus du communautarisme, le phénomène qui permet à des groupes de s’organiser de manière à exclure la majorité, est celui des élites. De nombreuses instances officielles excluent les femmes (82% d’hommes à l’Assemblée Nationale) les jeunes (4% de moins de 40 ans au Parlement), les minorités ethno-raciales ou les pauvres. Aujourd’hui par exemple les habitants de villes comme Neuilly sur Seine lancent des pétitions dès qu’un projet de construction de logement social voit le jour. Résultat, la population de ces quartiers cultive l’entre-soi. N’est-ce pas du communautarisme ?
* À nous la France, Rokhaya Diallo, Ed Michel Lafon, 220 p.