L'édito de Pascal Boniface

Mali : qualifier l’opération Serval de néocoloniale obéit à un réflexe néocolonial

Édito
23 janvier 2013
Le point de vue de Pascal Boniface
L’intervention militaire française au Mali est largement soutenue au niveau international par les États. Ce soutien quasi unanime des gouvernements (l’Égypte est une exception notable) est assez rare pour être noté.

Parmi les opinions, tant nationales qu’internationales, elle suscite certaines réserves, certes minoritaires mais néanmoins réelles. Celles-ci sont plus traditionnelles : néocolonialisme,Françafrique et ingérence sont les termes qui reviennent en boucle.

Comment expliquer ce clivage entre le consensus – exceptionnel au premier sens du terme – des États et l’existence dans le public d’opinions dissidentes et d’un clivage plus traditionnel ?

Interventions militaires dans une politique traditionnelle de puissance

Les divergences ne viennent pas de l’analyse des risques encourus. Partenaires et adversaires de l’intervention sont conscients qu’elle n’est pas une promenade de santé et qu’elle comporte des dangers potentiels non négligeables, comme le prouvent la prise d’otage en Algérie et son dénouement.
Une grande partie de l’opposition à l’opération vient en fait de l’observation des dernières interventions militaires extérieures menées par les pays occidentaux.

La peur et l’angoisse suscitées par les attentats du 11-Septembre, l’hubris née de l’effondrement de l’Union soviétique et du sentiment qu’il n’y avait plus de rivaux, auxquels il faut ajouter un sentiment de supériorité morale concernant les "valeurs", ont conduit les Occidentaux à se lancer dans diverses opérations militaires.

Elles ont été menées au nom de principes politiques démocratiques, qui étaient en fait le fruit d’une politique de puissance traditionnelle. Les valeurs étaient un écran de fumée pour masquer les véritables intentions géopolitiques. Ajoutons l’usage immodéré de l’argument anti-terroriste, qui a eu plus souvent pour but de tétaniser la réflexion que de bâtir une politique cohérente.

Les Occidentaux – ou une partie d’entre eux – ont mené des guerres illégales, comme en Irak, qui se sont révélées être des fiascos stratégiques et moraux. Ils ont commencé des guerres légales, comme en Libye, où ils ont modifié le mandat international en cours de route pour mener une opération de changement de régime alors que le feu vert onusien ne portait que sur la protection de la population.

La guerre d’Afghanistan avait un fondement légal et légitime. Elle a été victime des dommages collatéraux de la guerre d’Irak, d’une présence trop longue qui a transformé les troupes de libération en troupes d’occupation, rejetées comme telles par une grande partie de la population. Elle a également souffert des mensonges proférés pour la faire accepter par les opinions lorsque les difficultés, tout comme les multiples bavures, sont apparues sur le terrain et ont suscité l’hostilité de la population.

Discrédit du discours occidental sur le recours à la force

Le recours aux ruses de communication pour convaincre les opinions occidentales du bien-fondé des interventions a conduit à une décrédibilisation du discours occidental sur le recours à la force. Ce discrédit est partiel dans les opinions publiques occidentales, plus largement partagé à l’extérieur. Ce qui a été vécu à tort comme le moment unipolaire de domination américaine et occidentale dans la première décennie de ce siècle a amené les Occidentaux à penser pouvoir imposer leur point de vue politique si besoin par leur supériorité militaire.

Cela a créé un réflexe acquis d’hostilité à toute évocation de l’usage de l’outil militaire pour aider à amener une solution politique. De même que l’hyper-militarisme produit le pacifisme, le recours trop fréquent à l’ingérence sur fond de domination occidentale suscite l’opposition à l’usage de la force en toutes circonstances.

À force d’évoquer la communauté internationale alors qu’il ne s’agissait que de politique menée par les pays occidentaux pour leurs propres intérêts, ces derniers ont décrédibilisé cette notion même de communauté internationale. À vouloir imposer par la force la suprématie du monde occidental, on est parvenu à susciter la méfiance à toute opération militaire à laquelle participent des Occidentaux.

L’usage de la force dans les relations internationales n’est ni tabou ni illégal. Il peut être nécessaire et parfois – même si rarement – salutaire. Il faut juger au cas par cas. C’est une solution militaire qui a permis de mettre fin au règne de la terreur en Sierra Leone et au Libéria en 2000, où les maîtres du pays faisaient de l’amputation un loisir, de l’enrôlement des enfants soldats une pratique de masse et du viol une routine.

Le regard critique sur ce qu’ont fait les Occidentaux dans le passé dans les pays du Sud, nécessaire et bienvenu, ne doit pas conduire à empêcher toute action si elle est légale, désirée par la population nationale où l’intervention a lieu et soutenue par les nations de la région. Il est de la même logique de s’être opposé à la guerre d’Irak, de constater l’échec pour des raisons précises de l’intervention de l’Otan en Afghanistan, de déplorer qu’on ait piétiné le concept de "responsabilité de protéger" en Libye et de soutenir l’opération en cours au Mali en connaissance des risques encourus.

Qualifier l’opération Serval de néocoloniale obéit en fait à un réflexe néocolonial. C’est parler au nom des Maliens sans leur demander leur avis.
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