Quand la politique s’immisce dans le football
Football et politique, c’est donc impossible à séparer ?
Le sport en général (terrain d’affrontements physiques) ressemble déjà à la politique (terrain d’affrontements sur le plan des idées). L’antagonisme sportif, avec un vainqueur et un vaincu, est aussi une autre figuration de la guerre (« mais sans les morts », selon le mot de Françoise Giroud). C’est tout le drame du France-Algérie de 2001 : comment sceller la réconciliation entre les deux peuples à travers un match qui va symboliquement donner un vainqueur et un vaincu, et exacerber les passions nationales ? Si l’Algérie gagnait, elle prenait une revanche sur la France, son ex-colonisateur. Si la France l’emportait, elle demeurait puissance supérieure face à son ancienne colonie… Des événements culturels dans les deux pays auraient été plus adéquats.
Le football est LE sport planétaire par excellence. Chaque peuple investit dans son équipe nationale beaucoup de fierté (beaucoup trop, parfois ?), beaucoup d’espérances et se donne des occasions d’exorciser symboliquement des drames de son passé : en Europe, pendant longtemps, battre en foot la RFA puis l’Allemagne agissait comme catharsis pour beaucoup de nations. L’hostilité réelle des Hollandais pour les Allemands du fait de l’occupation nazie s’est grandement estompée quand les Pays-Bas ont enfin battu la RFA (2-1) à l’Euro 1988… De tous temps, sous toutes les latitudes, on sait que les stades ont été des lieux de contestation ou d’affirmations identitaires régionales (le Nou Camp du Barça contre le Real du Franquisme) ou nationales (en Corée durant l’occupation japonaise).
Le football est aussi jusqu’à un certain degré un instrument diplomatique non négligeable. L’équipe du FLN a donné dès 1958 à l’Algérie une grande visibilité indispensable à sa reconnaissance internationale. La réussite pacifique du match USA-Iran (1-2) à la coupe du monde 1998 a accéléré le processus de rapprochement diplomatique entre l’Amérique de Clinton et l’Iran des Mollahs. La CAN a contribué à unifier intérieurement chaque pays d’Afrique et de façon plus globale à fédérer le continent africain.
Enfin, le foot est aussi victime de son aura dans le sens où il est trop souvent instrumentalisé par les régimes au pouvoir, qu’ils soient des dictatures (Mussolini qui exploite les succès de sa squadra azzurra) mais aussi dans les démocraties (Bernard Tapie surfant autrefois sur les succès de l’OM pour servir ses ambitions politiques et entrepreneuriales).
Que répondez-vous à ceux qui disent que le foot c’est le nouvel opium du peuple ?
Prétendre que la passion foot endort le citoyen et le rend passif politiquement, c’est méprisant pour le peuple… Je répète que les stades sont souvent et plus que jamais des lieux de contestations. Que le public foot n’approuve pas vraiment les dérives du foot-business : le prix élevé des places, la cherté des abonnements TV ou le salaire mirobolant des footballeurs. En France, c’est le public foot qui, par sa colère, a contribué à moraliser la conduite des Bleus, jeunes footballeurs millionnaires capricieux et peu respectueux de leurs devoirs de représenter correctement leur pays… Le foot est une distraction populaire, certes facile et immédiate (le match commence à 21 heures et deux heures plus tard le résultat tombe !), mais trop souvent caricaturée à l’extrême (cf. le sketch très moyen de Pierre Desproges sur le supporter beauf). On ne peut pas demander au foot de changer le monde. D’autres industries du spectacle plus « relevées » (musique live, théâtre, cinéma, arts plastiques) parviennent déjà difficilement à changer le monde : pourquoi alors exiger pareille prouesse du football ? Enfin, le foot créee du lien social : les clubs de supporters en Italie ou en Angleterre rassemblent des générations de fans, vieux et jeunes, dans les cafés et dans les pubs. Tous les dimanches matins, des millions de papas généreux emmènent le fiston et ses copains jouer des matchs de foot, parfois à des dizaines de kilomètres de la maison…
Quels sont les futurs matchs géopolitiques qui pourraient prendre la suite des 15 que vous décrivez ?
Un Argentine-Angleterre au couteau serait toujours d’actualité : l’Angleterre a commencé l’exploitation pétrolière aux Malouines sous forte escorte militaire, ce qui rend furieux Cristina Kirchner et beaucoup d’Argentins. Un sulfureux Israël-Iran serait probable si les deux pays parvenaient à se qualifier en coupe du Monde. Le contexte politique serait d’autant plus explosif que le pays qui refuserait de disputer ce match serait très durement sanctionné par la FIFA pour les compétitions ultérieures… Deux pays asiatiques génèrent naturellement des antagonismes politico-sportifs sérieux : le Japon et la Chine. Déjà, les relations sino-japonaises sont exécrables. La Chine inquiète tous ses voisins de la Mer de Chine (tensions larvées entre Chine et Vietnam à propos des Îles Paracels). Sinon, comme depuis longtemps, les deux Corées rêvent toujours d’en découdre en sport avec l’ennemi japonais haï et honni.