L'édito de Pascal Boniface

Qatar : les secrets du coffre-fort

Édito
11 avril 2013
Le point de vue de Pascal Boniface
Au terme d’une longue enquête au pays d’Al-Jazeera, Christian Chesnot et Georges Malbrunot, grands reporters respectivement à France Inter et au Figaro, publient « Qatar, les secrets du coffre-fort » (Ed. Michel Lafon). Ils répondent aux questions de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS.
La France doit-elle voir le Qatar comme un partenaire ou comme une menace ?

La peur est toujours mauvaise conseillère. Le Qatar est un investisseur important en France, il intervient dans les domaines les plus variés (sport, hôtellerie de luxe, grande distribution, médias, etc.). Au total, les investissements de l’émirat dans l’hexagone se montent à environ 14 milliards de dollars, mais il faut savoir qu’il investit quasiment le double en Grande-Bretagne, et ça ne pose pas de problème. Donc l’idée que le Qatar rachèterait la France est exagérée. Pour autant, il faut être vigilant quand Doha a eu des visées sur des groupes français sensibles et stratégiques comme Areva par exemple. Et puis, notre agenda diplomatique n’est pas forcément le même : le Qatar soutient le Hamas et la France, mais aussi les Européens, soutiennent l’Autorité palestinienne. Sur le dossier du Mali, Doha a critiqué l’intervention française. Alors, oui nous sommes partenaires – la participation du Qatar à la guerre en Libye a été très utile pour la coalition – mais il ne faut pas être angélique et systématiquement dire oui au Qatar sous prétexte que c’est un partenaire économique et politique important. Sur ce point, François Hollande semble avoir rééquilibré la politique française dans le Golfe en faveur de l’Arabie saoudite et des Emirats arabes unis.
Comment expliquer le Qatar bashing auquel on assiste ?

En fait, le Qatar est sans doute victime de son succès. Il y a seulement quelques années personne en France ou en Europe ne connaissait ce micro pays, même si la chaîne de télévision Al-Jazeera avait fait connaître l’émirat. La rapidité de la montée en puissance qatarienne ces deux dernières années tant sur le plan économique que diplomatique a beaucoup surpris en Occident et a suscité beaucoup de questions, d’autant que les responsables qatariens, à commencer par l’émir lui-même, ne communiquent pas. Et puis, il ne faut pas sous-estimer l’islamophobie ambiante en France qui a certainement joué en défaveur du Qatar. Pour l’opinion publique française, l’émirat combine deux défauts : être wahhabite et être immensément riche !
En quoi la Syrie est-elle un enjeu primordial pour le Qatar ?

Au départ, les relations étaient excellentes entre l’émir Hamad Al-Thani et le clan Assad à Damas. Et puis les choses se sont dégradées notamment après le rapprochement entre la Syrie et l’Arabie saoudite. Doha s’est senti grugé. Surtout depuis le déclenchement de la révolte populaire et la répression qui a propulsé le Qatar au rang de premier opposant au régime. Doha est devenu la capitale de l’opposition syrienne en exil et a poussé au raidissement de la Ligue Arabe. Le Qatar veut surfer sur la vague des printemps arabes qui a porté au pouvoir des gouvernements issus des Frères musulmans en Egypte et en Tunisie, et dont le pouvoir qatarien est très proche. Il veut élargir son influence régionale au moment où les poids lourds du monde en arabe sont en difficulté ou occupés à leurs affaires intérieures : Syrie, Irak, Egypte, Arabie saoudite et Algérie. Le Qatar a profité du vide pour occuper la scène régionale. Mais c’est une stratégie dangereuse. Comme nous le disons dans le livre, entre l’émir et Bachar al-Assad, c’est une lutte à mort, mais si d’aventure le régime syrien tenait, même affaibli, il pourrait faire payer au Qatar son engagement dans la révolution syrienne.
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